vendredi 27 juin 2008

L'absence (1)

Un porno, un dial sur la toile, un bouquin. Rien ne me remplit comme le souvenir de mon danseur. La bière et les copains ne parviennent pas plus à vaincre mon sentiment de solitude, je suis pris de vertige, plusieurs fois. Je perds toute concentration, je comprends à peine ce qu’on me raconte. Accoudé au coin du bar, je crois que mon sourire est bien penaud et les copains font mines de ne pas s’inquiéter. Les conversations m’échappent, elles glissent sur ma raison, je pense au vide qui résonne en moi, qui brimballe comme une vase. Si je pouvais isoler cet espèce d’aller-retour incessant entre mon bide et ma tête, en ce vase-clos, une balance de Roberval. Elle hésite, sans fin. La pesée de mon néant. Tandis que mes organes remués, révoltés, écœurés, voudraient fuir par tous les trous.
« La peau.
- Hein ? »
La peau. Suffit-elle à contenir tant d’absence. Mon danseur. Lui dire au revoir fut un déchirement. J’ai depuis à nouveau ce sentiment non de manque, mais d’absence.
« Eho, t’es là ? »
Je crois à une sorte d’amarrage du désir. Il se projette, éclabousse le monde et puis, un jour, il se fixe, selon une mystérieuse et fort complexe combinaison de déterminismes.
« Il est amoureux ou quoi ?
- Ouam ? Il est saoul »
Je suis un bateau plein de bière, j’essaie de prendre le large. Cela me confronte à mon infinitude, à mon unicité éclatée, à ma solitude en expansion. Tiens, oui, en expansion, car je suis l’univers, je ne le découvre pas à l’instant.
« La peau. »
Ma peau n’est qu’un sac, je sens bien que mes organes cherchent une sortie, ils pressent, tels des blocs d’excréments prêts à jaillir, mes organes gonflent, bougent, se tordent, se débattent et j’ai grand’ peine à les contenir.
« Féria de Nîmes, la bodega Chez Jany bondée, je danse. Dalida, un truc dans le genre, plutôt drôle. Je remarque un garçon et soudain il danse à côté de moi. Il me tourne autour et bon je fais ma timide. Un mouvement de foule, le garçon en profite pour me toucher, en fait il me prend dans ses bras. Cela ne dure que quelques secondes. Quelques secondes de paix. »

vendredi 20 juin 2008

Journaliste (2)

J’aime cette situation d’observateur privilégié de l’œuvre en création. L’artiste que j’interroge essaie de me donner des clefs de compréhension, il me facilite la lecture, oui, c’est un grand privilège. Rares sont les chorégraphes, les metteurs en scène ou les auteurs qui n’ont pas d’idée sur ce qu’ils font (enfin il y a des tocards) et mon danseur n’hésite pas à se confier, avec douceur. Je regrette de ne pas voir le spectacle avant d’écrire mes deux feuillets. Quand j’ai la chance de voir le spectacle à temps, une générale ou un filage, mon boulot c’est de faire fonctionner ma machine à interprétation car je ne peux me permettre de dire tiens, c’est beau. Et puis de toute façon il n’y a rien de plus révoltant qu’un truc juste beau. In fine, une œuvre qui n’a aucune signification revendiquée promeut la pensée unique, c’est de la collaboration passive. Ce qui n’a pas de sens est ultralibéral, moraleux, voire papiste. Donc, je ne peux me satisfaire, j’interprète, je fouille, j’essaie de comprendre. Deux danseurs, s’ils ne se touchent pas, je pense que c’est parce qu’ils ont peurs (ou honte, ou autre, bien sûr, cela dépend de leur jeu) et j’essaie de déterminer quelle contrainte, sociale, politique… empêche leur rapprochement; s’ils se battent, je peux penser que c’est par amour, l’un pour l’autre ou à cause d’une belle, même (et surtout) lorsque l’argument de la pièce est, genre, une lutte de pouvoir, deux bandes rivales qui se disputent un territoire. Le spectacle vivant montre des corps, il est par nature sensuel et, par suite, sexuel. Il n’est pas que cela, certes. Mais d’une façon générale, sans pour autant proposer de définition, et si j’en crois ma propre pratique littéraire - ou ce que je perçois des discours des artistes - ce que l’art propose, c’est une expérimentation du désir. Le peintre veut une couleur, il va tenter tous les mélanges, avec acharnement, jusqu’à ce qu’il l’obtienne : on ne me fera pas croire que c’est comme une envie de pisser, ce n’est pas le besoin qui le guide, alors qu’est-ce ? L’art c’est notre désir qui fait monde. Alors je ne suis pas de ceux qui réduisent leur désir à la « chose » sexuelle, néanmoins je suis convaincu que l’on ne peut placer le sexe ou même la pornographie hors du champ de la culture et de l’art. D’ailleurs, on ne m’a jamais fait plus beau compliment que lorsque l’on m’a reproché de mettre « trop de matière » (traduire « trop de mon corps ») dans mon écriture. Premier Jet, en effet, c’est de l’encre, du sperme et (sans dévoiler la fin) du sang.

Mon danseur, je ne l’ai jamais vu sur scène, mais je me passionne pour son travail, je me dis voilà un homme. Je suis prêt à parier sur lui, mon papier sera un des meilleurs depuis longtemps, j’en suis sûr. Mes seuls articles valables, à vrai dire, sont des lettres d’amour.

« Il paraît quand le papier ?

- Le jour de la première, c’est mercredi ?

- Oui.

- Alors mercredi »

jeudi 19 juin 2008

Journaliste (1)

Bon c’est vrai que les Théâtres du Peuple et autres Centres Culturels, égarés, semés ici ou là parmi les banlieues rouges, défrichent souvent la création contemporaine, découvrent les nouveaux talents et font venir un public parfois assez surprenant, bariolé, et même des lyonnais. Mais qu’est-ce que cela peut me faire, hein. La banlieue c’est un trou, et je ne prends pas un pied énorme à me transporter en commun. Ce n’est pas que je sois de mauvaise humeur, mais il flotte. Soudain, un journaliste sans scrupule se pointe. De connivence avec l’artiste, lui-même saltimbanque et donc, par définition, de passage, il se tire, mets les bouts, s’arrache, bref, repart aussitôt d’où il était venu. Nous l’apprendrons, la responsable de la communication de ce Théâtre excentré a subi une panne de voiture en quittant son domicile croix-roussien, ce qui explique les portes fermées. Après avoir tourné un moment avec sa bagnole défoncée, nous voilà avec mon danseur dans un café du 1er Arrondissement de la capitale des Gaules. Oui, à Lyon, d’ailleurs soyons précis, à la Croix Rousse. Le client - oui, le professionnel appelle ainsi la personne qu'il interroge, c'est un hasard - est timide, bien que n’éprouvant aucune difficulté à parler. L’empathie marche à plein et son discours à la fois nu et pensé, nuancé, ambitieux, m’inspire. Il est sincère, cohérent, explique sa démarche grâce à des citations de ses confrères, de bouquins, de films de cinéma... Et puis il évoque des épisodes de sa vie personnelle, une séparation, l'incompréhension de ses parents... Si bien que je me fais l’effet d’être un voyeur, un de ceux qui veillent dans les livres de Dennis Cooper. Le tueur s’introduit dans les jardins d’une suburb (type Long Island dans L.I.E. de Mickaël Cuesta) et se régale d’un adolescent qui se dépiaute derrière un bow-window. Ou bien il s’émeut du même môme qui se branle en soupirant avant de se coucher… Ou encore c’est un autre gamin qui s’écœure en matant un jeunot qui défèque dans la bouche d’un vieux… Non, pas à se point, qu’est-ce qui me prend, je débloque trop, je vais vomir. N’empêche, sans aller jusque là, je me sens gêné, impressionné, coupable. Honteux de n’être qu’un témoin, de n’avoir aucun rôle, c’est bien mon mal, je suis toujours à côté de la vie, jamais dedans. Pardon, je n’ai rien vu, je m’en vais, je vous laisse tranquille, excusez-moi, je ne voulais pas... Pourtant, j’éprouve aussi le sentiment, contradictoire, d’être invité à vivre des aventures inédites, sensuelles, intimes, en compagnie de ce jeune homme à l’allure triste et l’insondable grâce.

lundi 16 juin 2008

Danseur

En haut des marches du Théâtre du Peuple, vaillant temple de la banlieue lyonnaise, m’attend l’artiste que je dois interroger. Ma danseuse du jour, un garçon de mon âge ou à peu près. Okay, plus jeune. Et pas trop respectueux, je trouve, Eho est-ce que j’ai une gueule de journaliste ? De province ? Car il me reconnaît aussitôt. Pour cet accès de lucidité, cette insolence, je m’apprête à le détester.

« C’est vous Ouam ? »

Sa démarche est nonchalante, il vient à ma rencontre avec son visage ennuyé, décoré néanmoins d’un sourire qui lui lève juste un coin de la bouche. Il me salue d’une poignée franche et je remarque à l’instant sa beauté blême, ses épaules un peu tombées. Ses vêtements sans grâce, râpés, laissent deviner un corps vigoureux et mince. Il est danseur. Son regard est percé.

« Je ne comprends pas, il n’y a personne, le Théâtre est fermé. On va où ? »

Demande-t-il et je suis tenté de dire chez toi ? Je me remémore le dossier de presse de la pièce dont il doit m’entretenir. Je l’ai parcouru ce matin, j’ai subodoré le sujet de l’homosexualité ou, au moins l’homosexualité du sujet. Pas ce qui s’appelle rarissime, je dois dire. C’est une question de rédaction, d’accent mis sur la plastique des danseurs, le rapprochement des corps, les frôlements, brrrr, il m’excite, ce mec. Je le mate du coin de l’œil et j’éprouve même quelque difficulté à m’en détacher pendant qu’il me guide vers son automobile. Nous avons décidé de trouver un café et le Théâtre du Peuple est plutôt situé dans un désert, de ce point de vue. Beaucoup d’habitations, aucun commerce. Je jette comme chaque fois un œil admiratif sur ces architectures tellement décriées. Elles sont coupantes, comme classées, rangées. Défraîchies, cassées. A peine adoucies par des bosquets de Troènes qui s’avachissent sur la gale des pelouses. Nous pressons le pas, l’orage s’éclate bien, pas nous. C’est à la seconde où je vais ouvrir la portière de la Simca 1000 que j’entends :

« ENCULE SADIQUE ! »

Parole, il me poursuit. Je me retourne, comme pris en flagrant délit, je m’attends à apercevoir sa tête ravinée, sa barbe folle et ses deux globes de fer fondu. Son doigt accusateur.

« MACHO PEDOPHILE ! »

Je cherche alentours et sous cette fichue pluie, il n’y a personne.

« Vous… Vous avez entendu ? »

Je tends l’oreille.

« Euh non. Rien. Personne. »

Le danseur me tient sous son pâle halo, je suis sidéré par cette impression qu’il donne de maîtriser l’espace autour de lui, alors que ses gestes sont si las. Un coup d’œil sur le Théâtre qui s’évapore dans la lunette arrière. Ce n’est pas du jeu, oh. Si je ne suis pas adepte des backrooms ou des saunas, ce n’est pas pour sauter sur tout ce qui bouge au boulot ou dans la rue. Je ne suis qu’une pauvre âme piteuse prête à tomber amoureuse tout de suite là maintenant. De ce garçon dont les jolis traits tirés, fatigués, éloignent les ombres. J’en aurais presque des pulsions violentes de libération. Il me tient.

vendredi 13 juin 2008

Bus

En ce printemps pluvieux s’épanouit la fleur comburante. Mes sublimes Van’s bleues électriques donnent des signes de fatigue, elles pompent l’eau des flaques avec un chuintement qui manque de classe. Dernière sortie pour elles, j’en ai peur. Les trottoirs luisant sont déserts, je traîne les lambeaux blancs de mes jean’s et ma musique jusqu’à l’arrêt de bus Opéra. Non, je ne me balade pas avec du plastique dans les oreilles, je chante. Je chante, je pense à toi. J'ânonne des airs improvisés. Je ne saurais autrement te susurrer ces mots d’amour, irradiants, piquants, puissants, qui me sont autant de shoots violents et des appels, y’a quelqu’un ? Eh y'a quelqu'un ? C’est presque comique, je connais des gens qui croient qu’il y a « toujours quelqu’un », une sorte de foi que je n’ai pas, pourtant je ne peux m’empêcher de chercher à sentir ta présence, non loin, ton sourire, ta confiance. Dans les transports en communs, je croise la stupeur magnifique d’une petite troupe d’adolescentes, un homme à la grâce involontaire qui les toise, la touchante fatigue d’une vieille dame qui, peureuse, se détourne. Tandis que je m’éloigne du centre de Lyon, avachit sur un siège, le paysage s’abîme, s’effrite et la vitre du bus, striée de vergetures translucides, me glace le front. L’orage s’énerve, je me sens bien au milieu de ce maelström hypnotique, je chantonne, je dois faire l’effet d’un fou à mes quelques compagnons de voyage mais qu’importe. Et si l’un d’eux, lui, le garçon, venait à me reconnaître, à aimer le petit air récurrent qui s’installe autour de moi ? Il se poserait, précautionneux, sur le siège libre, pour m’écouter. Je chante pour lui. Ou bien pour ce petit garçon qui n’a pas peur de s’étonner, de l’autre côté de la vitre, nous nous regardons un instant. Il courrait en riant, il s’arrête, le temps de ce curieux échange. Combien de fois ai-je ainsi rencontré un peu plus que le regard d’un môme, tiens, le sourire me gagne. J’aime apercevoir ainsi, par exemple sous la pluie, au coin d’une rue ou d’un jardin, ces petits animaux de désirs. Je me souviens le feu sous la peau, sous les sourcils et la tignasse brune, dans le K-Way froissé, dans les bottines. Je le sais, seul en moi le sentiment de toi saurait imiter ce juvénile embrasement. Encore quelques arrêts.

mercredi 11 juin 2008

Pénétration

Il y avait sur le visage du gentil garçon que j’enculais cette expression proche du martyr, ou de l’enfant pris dans les convulsions de son chagrin le plus intime. « Vas-y, vas-y à fonds », suppliait Jmlepoil et je sentais le plaisir poindre au bout de ma queue parce que je désirais croire que ses traits déformés, preuves également de son niveau d’abandon et de confiance, exprimaient une émotion à la frontière de la douleur et de la volupté ultime. Mon couteau plongeait dans sa plaie, lui fouraillait le ventre et j’avais pour lui, à cette instant, tant d’amour. Ces secondes, ces minutes, tandis que nous éprouvions la sensation de décoller, de planer au-dessus de nos misérables dépouilles, étaient aussi une incursion du réel, par l’invasion des sens, un tangible témoignage de nos existences, oui, le corps est la source de l’âme et c’est pourquoi il en est la prison. Mais mon désir, qui se jette sur le monde et qui tâte et qui tord et qui mord la chair des hommes, me guide, avec toute sa rage, vers le sentiment de réalité, vers la sensation d’un monde vivant autour de moi. Le désir est ma démence et mon démon. Il fait l’intermédiaire avec le monde visible, blessant, lisse, moite, bruyant, haletant, puant, goûteux… Néanmoins, laissé nu - j’ai écrit : sans objet - il me torture, c’est une main qui me fiste, me bride les tripes et me manipule tel un navrant guignol de backroom.

mardi 10 juin 2008

Ce qui me tourmente

Bisous. Ce message unique tombe sur moi, il émane de l’oiseau blanc. Bisous. Depuis deux semaines il reprend contact, il insiste. Un petit mot, chaque jour. Bisous. Avant de se coucher.

Il aurait le droit de m’en prodiguer autant qu’il veut, des bisous. Je me laisserais chavirer entre ses doux bras blêmes, je me laisserais lécher le visage, le gland, les aisselles.

Sauf que je doute un peu de mon plaisir. Car ce beau spécimen, dont je tâterais volontiers une fois encore le fessier ferme et rond, suce comme une fille, quoique goulûment, et baise comme une cuillère. Nos baisers ne furent à aucun moment cette espèce de faim, d’aspiration de l’autre, d’appropriation de fluide vital : il existe des garçons qui se nourrissent du plaisir de l’autre, mais jusqu’à le vampiriser, à le digérer, l’impression qu’ils se goinfrent et il faut se défendre, muscler le propos… Avec lui il y eut les baisers adolescents, maladroits, nuls, on m’a dit qu’il fallait mettre la langue et tourner, tourner; et les pâmoisons, les jonctions momentanées, les muettes prières résonnant sous les poitrails sans souffle. Mon bel amour, mon bel amour. S’il avait su m’offrir sa peau tendue par l’effort et la jouissance, si j’avais pu en traces rubescentes y dessiner les runes qui m’obsèdent, mon poème, ma lettre d’amour, l’aurais-je écrite pour lui ? Mon ardente faconde abrite en sa chapelle de nombreux corps tordus, ceux de tant de garçons, d’oiseaux lyre, gris comme des romans à composer, coulant comme des cierges sur l’autel de mon désir… Je ne trouve aucun repos. J’aurais voulu proposer en rituel à mon amant la plus infernal monté de plaisir, ah… Mon amant, mon amant n’a pas de chair. Un rêve enfanté par des bombes et lancé sur mon livre. Un rêve qui me trouble, il faut me croire, la surface sombre de ma lettre s’en trouve affectée d’exquis et infinis rebonds. Je me sens impuissant. Play with me, sweet Cody Lockheart. Je me caresse avec l’espoir de me débarrasser de mon désir d’étreinte, de ces baisers qui sont en moi et ne s’en libèrent pas. Sors de mon corps, sors de mon corps, ô démon. Mais je n’éjacule pas parce que je suis comme une petite salope qui se préparerait pour le coïte. Je dois me préserver pour mon amant. Ce mot qui me cueille chaque soir m’assèche. Le monde est virtuel. Je ne trouve aucun repos.