Ce petit double menton dès que je baisse la tête, ce torse curieusement massif, mes hanches larges et mes bras sans forme, je ne saurais draguer juste sur mon apparence. Alors je me pose quelque part et je me fais une grimace ténébreuse, en espérant que mon petit cul suffira à aimanter le gamin de vingt ans qui se dirait ouah un adulte. Aller je déconne. Mon air dangereux interdit à tout garçon de m’approcher et s’il le faut, j’ajoute le son, le petit mot qui va bien. Pourtant la vérité c’est que je ne fais pas exprès. Je suis très bête car je ne désire que cela, que tu m’abordes, tiens, au coin d’un comptoir ou d’une rue. Mais je me sens tellement indésirable, moche et, surtout, effrayé par ma propre vacuité, que je suis prêt à te le reprocher. Qu’est-ce que je peux te dire, euh tu es mignon toi, ou bien, t'as des histoires à me raconter. Deux exemples. Un gars, du genre à me sécher juste avec son sourire, au Lax ou au Medley, danse à côté de moi, je le mate comme un salaud. Deux ou trois fois, nos regards se croisent. Avant de partir il me bouscule, il s’est dirigé direct sur moi, bing, un coup d’épaule. J’aurais voulu lutter, menacer… si tu ne mets pas tout de suite ta langue dans ma bouche, prends ma main dans ta super belle figure. Je le regarde s'éloigner en passant sa veste noire. Le lendemain, ce garçon sublime, vêtu tout de noir, m’a peut-être suivit comme mon ombre, puisque je le retrouve à cent lieux d’une boîte gay, dans mon café fétiche. J’en ai le front levé, fier, le muscle chaud, la gorge sèche. Il s’en va, ma soirée se termine, comme une soirée. Au fond d’une allée croix roussienne, au bord d’un jardin, ma copine Jane déménage et je suis fringué en conséquence, très classe. Un jeune homme éblouissant me demande si j’habite ici. Euh non. Je ne comprends pas pourquoi il veut savoir ça et puis surtout il est beau. Il me voit interloqué, cherche à me rassurer, il voulait récupérer des vieux journaux, des Top affaires ou des Paru Vendu. Hum les seuls journaux honnêtes que je connaisse.
« Désolé, je ne sais pas du tout où en trouver. »
Je lui donne un sourire confiant, il m’en offre un qui m’écrabouille la cervelle. Et puis la journée continue, comme un déménagement, avec du sang (aïe mon pouce), de la bière et des rigolades. Deux exemples parmi tant d’autres où je sens la potentialité d’une situation, la rencontre au bord des lèvres, et pourtant je ne dis rien. Dans le premier cas je ne me crois pas assez séduisant, dans le deuxième pire encore, puisque j’en suis même à redouter un scandale. Pour finir, je sais que suis responsable de ma solitude. Comment te rencontrer si, chaque fois, je te fuis ?