jeudi 24 juillet 2008

La porte

Je sais qui tu es. Telle une ombre prométhéenne tu glisses sous les portes et tu fais le don du feu au fou. Silhouette agitée par la présence des mouches, tu jouis du corps à corps avec moi, tu me blesses au front, une nuit de beuverie et… m’as-tu vu cul nu sur le muret pentu de la rue des Fantasques ? Je me suis maquillé ensuite avec mon sang, je me suis caressé, à travers le slip, je bandais durant notre bataille, tu voulais la volupté, je te l’avais promise. Je t’ai aperçu si souvent, du coin de l’œil, au détour d’une phrase, et te voilà ici devant moi. Sous moi.
Boumboumboum.
Noire, en effet, mon cruel sigisbée, tu l’es. Maintenant, je me dis, je suçote ton téton, tu te tais et tu siffles, dans ma gorge, les premières mesures de l’abandon. Sur mon lit, qui n’est qu’une idée blanche où je me vautre, mes mains te créent un corps mince et remuant, ton visage inventé se tord tandis que mes dents te façonnent le frein. Ah tu me suis ?
Boumboumboumboum.
Mais tu ne peux plus fuir. Tu es à Ouam. Je cartographie, je trace, je délimite ton territoire. Avec mes dents, avec mon couteau, je te coupe, je te déchire. Je t’ouvre comme un livre, une plaie, tu sens bon l’encre fraîche, mon sigisbée, ton sang est noir et tu le déverses sans plainte, ou alors elle m’est inaudible, elle sourd, ta souffrance est liquide et se déverse dans la chambre. Je te lis.
Boumboumboum.
Tu es à Ouam, infâme ? Non tu es en Ouam. Ouvre tes cuisses, cambre-toi, montre ton trou, que je me déleste enfin de ce qui pèse depuis si longtemps, dans mon bide, le long de ma colonne vertébrale, dans mes burnes et qu’il soit comblé, plein de moi ! Tu agonises, je brandis mon couteau, je ne dessine rien, je lacère, je défigure, je m’abreuve à tes dernières gouttes, je n’en peux plus de ces romans que tu te fais, de ces vies que tu inventes et qui sont là, aussi vraies que natures. D’accord, les humains ne sont rien sans leurs ombres furtives, leurs humeurs et leurs histoires. Je ne suis rien sans toi.
« Ouam je sais que tu es là »
Mon corps est lourd de tant d’absence. Noire Sigisbée, tu me suis ?
Boumboumboum.
On frappe à la porte.

mardi 22 juillet 2008

L'absence (3)


Un seul être vous manque, dit-on, mais cet être c'est je l'absence à soi-même. L'autre, les rencontres ne sont-elles que l'image protéiforme de soi, ne parle-t-on qu'à soi ? Dans ce désert, il y a ma solitude, et tous mes oasis. A cause de ce que je crois discerner d’un homme que j’aperçois pour la première fois, je pourrais lui dédier ma lettre d’amour, l’écrire pour lui. Mais bien sûr je cède ainsi à une illusion et cet autre fantasmé n’existe que par moi, à cause de mon désir. Je n’ai pas la prétention de connaître les gens dès le premier coup d’œil, même si j’en éprouve parfois la sensation, grâce à cette machine sentimentale, bien huilée je le jure, mon empathie.
« Ah la première gorgée, hein.
- Ah oui, c’est vrai ce que tu dis c’est complètement vrai. »
Pourquoi cherche-t-on si souvent à s’identifier, je dirais même à communier ? Pour ne plus être seul, on se cherche avec frénésie d’autres soi-même. On fait d’ailleurs des grand’ messes pour tomber tous d’accord, des bouquins, des émissions de télé. Je je je, une sorte d’ego universel, tentaculaire. Unique, comme la pensée du même nom. Regarde-moi, regardez-moi. Désirez-moi. Et cherchant à provoquer le désir du plus grand nombre, le média, qui est la somme, ou plutôt l’infecte bouillie de ceux qui l’animent, devient l’organe autorisé du grand consensus mou, de la fausse provocation, de l’ironie facile, bref, du lieu commun. Oui, le poste de télé est l’avatar domestique d’un énorme Phallus en quête d’un maximum de trous du cul.
« Moi je ne suis pas d’accord.
- Euh alors rendez-vous dans cette case-là, elle est prisée, celle-là, elle vous plaira.
- Laquelle, ah oui. Bon d’accord. »
Aussi indécente et abjecte que cette foire des désirs puisse paraître, nous sommes nombreux à chercher la convergence des regards, le désir d’autrui. Il ne faut pas s’en étonner. Le pire serait de s’en moquer. J’aime beaucoup l’infanterie, les pieds paquets, tout ça, mais l’humour à l’évidence repose sur un non-dit, une connivence et donc, assez souvent, justement sur la pensée unique, celle qu’on n’a pas besoin de formuler. Non, je ne crois pas que tout soit « dépeuplé » lorsque tu n’es pas là, puisque c’est moi qui me délite, me déchire, me découpe… Est-ce que je meurs, est-ce le monde qui s’efface ?
Mon désir créé l’autre, le sien me construit.

mercredi 16 juillet 2008

L'absence (2)

Jane et sa petite famille m’invitent à manger et c’est drôle ce qui se passe, je joue au foot avec les mômes dans le jardin, ils braillent au moment de se coucher, je pars une heure ou deux plus tard avec une petite euphorie, rasséréné. Tonton Ouam était un peu en famille. Je vais replonger pourtant, je le sais. Je réprime déjà un frisson lorsque se ferme derrière moi la porte de Jane. Je vais me noyer sous les flots du lac bleu. Je n’ai pas eu trop besoin de parler, j’ai laissé ma copine me raconter sa journée, les progrès de ses enfants et c’était très bien car si j’avais ouvert la bouche… En ce moment je sens que je suis infoutu de garder secrète cette infâmante liaison, ma compagne fidèle, de retour, la chienne, mon humiliation. J’en aurais pleuré. Mon désir semble se perdre dans l’espace, se disperser au point de s’assimiler au vide. Je me sens pourtant aimer l’autre. Un autre, les autres, peut-être. Mais le monde vit sans moi, je ne saurais dire s’il grouille, je soupçonne qu’il vit. Et moi je suis comme mort. J’ai quelque mal à communiquer, en ce moment. Je n’en éprouve aucun désir. Je m’absente au milieu des conversations, la parole se heurte à mon ennui. Répondre même par un simple signe de tête me demande un effort incommensurable. Je pense au corps d’un homme qui me serait un nid halitueux. A son regard qui me prêterait vie. Je plonge sur les pentes de la Croix Rousse, pantin membré, raidi par la honte, j’arpente et je débaroule en grimaçant. Je baisse les yeux, les lève parfois sur… toi ? C'est toi ? Eh ! Fais un effort, quoi. Regarde-moi, désire-moi. Et puis non, ce couillon aux clavicules nues, ce divin drôle à la peau luisante et brune (cannelle aurait peut-être écrit Edmund White, me laissant espérer un parfum de pomme cuite et de beurre fondu), passe son chemin, ne me regarde pas ou, mieux, détourne les yeux. Un seul être vous manque, dit-on...

lundi 7 juillet 2008

Guignol

Je m’acagnarde sur les terrasses des cafés. Avec des bouquins. Je lis des histoires de pédés parce que j’en ai besoin. Ça me réconforte, l’impression que mon désir existe en dehors de moi, qu’il existe enfin. Que, s’il me marginalise, il ne m’exclut en rien. Je souris alors aux femmes qui m’observent, aux garçons. Je suis un homme amoureux. J’aime. Je t’aime. Danseur. Ou qu’importe. J’aime, voilà. J’aime un absent. Dans ma main la bière est dure comme un bris de roche translucide. Minée de l’intérieur, elle s’insinue par la brèche, elle m’éparpille le gosier, m’encanaille, m’étripe. Je vois ce bel ouvrier, torse nu, barbouillé de gris et ses groles boursoufflées dont le sourire édenté se cogne au bitume, je convoite sa queue à la porte métallique déformée de ses jeans, sa tignasse a de la grâce, comme vieillie par le labeur du jour et ses yeux sont bleus. Il me voit comme à travers un brouillard d'eau fraîche, je m'en étonne et il s’éloigne. La tentation est forte, la caresse ou la griffure, sur son visage, j’imagine tellement l’onde d’un ricochet sur sa peau. Je dois renoncer à lui. Le soleil s’insinue tel un pic dans mon corps glacé, une autre, garçon. Ne plus penser au danseur. Ne plus prononcer, en moi, le nom du danseur. De toute façon, aujourd'hui, il ne peut que me prendre pour un guignol. Je ne suis qu’une marionnette en bois de frêne qui va finir dans le caniveau avec son pote Gnafron. Je ne devrais pas parler comme cela de moi, je vais finir par m’aimer un peu trop. Une autre, garçon. C’est dimanche et je n’ai pas pu voir son spectacle, par lâcheté. Les représentations sont terminées. Je ne le verrai plus. Je n’aurais rien su dire. Pardon. J’avais écrit un article, le plus beau depuis longtemps. Même, j’étais fier. Le genre de travail qui justifie qu’on fasse encore appel à moi. Ma déclaration d’amour. Puis le chef n’en a pas voulu. Manque de place. Il a préféré un gros machin sans intérêt, pondu par un de ces horrifiants journalistes, inodores, ni plus ni moins qu’un publireportage, sur un Théâtre du centre ville qui a cet avantage sur le Théâtre du Peuple d’avoir les moyens de prendre une pleine page de publicité.
« Et comment tu crois qu’on te les paye, tes piges, hein ?
- A ce propos, en plus tu ne vas pas me la payer celle-là ?
- Au niveau du journal, un papier non publié n'existe pas, tu sais bien.
- Mon article n’existe pas ?
- Mais tu as la priorité sur les prochains papiers c’est promis, tu le sais que je suis cool, je ne vais pas te laisser tomber »
J'aime seul, je n’existe pas.

vendredi 27 juin 2008

L'absence (1)

Un porno, un dial sur la toile, un bouquin. Rien ne me remplit comme le souvenir de mon danseur. La bière et les copains ne parviennent pas plus à vaincre mon sentiment de solitude, je suis pris de vertige, plusieurs fois. Je perds toute concentration, je comprends à peine ce qu’on me raconte. Accoudé au coin du bar, je crois que mon sourire est bien penaud et les copains font mines de ne pas s’inquiéter. Les conversations m’échappent, elles glissent sur ma raison, je pense au vide qui résonne en moi, qui brimballe comme une vase. Si je pouvais isoler cet espèce d’aller-retour incessant entre mon bide et ma tête, en ce vase-clos, une balance de Roberval. Elle hésite, sans fin. La pesée de mon néant. Tandis que mes organes remués, révoltés, écœurés, voudraient fuir par tous les trous.
« La peau.
- Hein ? »
La peau. Suffit-elle à contenir tant d’absence. Mon danseur. Lui dire au revoir fut un déchirement. J’ai depuis à nouveau ce sentiment non de manque, mais d’absence.
« Eho, t’es là ? »
Je crois à une sorte d’amarrage du désir. Il se projette, éclabousse le monde et puis, un jour, il se fixe, selon une mystérieuse et fort complexe combinaison de déterminismes.
« Il est amoureux ou quoi ?
- Ouam ? Il est saoul »
Je suis un bateau plein de bière, j’essaie de prendre le large. Cela me confronte à mon infinitude, à mon unicité éclatée, à ma solitude en expansion. Tiens, oui, en expansion, car je suis l’univers, je ne le découvre pas à l’instant.
« La peau. »
Ma peau n’est qu’un sac, je sens bien que mes organes cherchent une sortie, ils pressent, tels des blocs d’excréments prêts à jaillir, mes organes gonflent, bougent, se tordent, se débattent et j’ai grand’ peine à les contenir.
« Féria de Nîmes, la bodega Chez Jany bondée, je danse. Dalida, un truc dans le genre, plutôt drôle. Je remarque un garçon et soudain il danse à côté de moi. Il me tourne autour et bon je fais ma timide. Un mouvement de foule, le garçon en profite pour me toucher, en fait il me prend dans ses bras. Cela ne dure que quelques secondes. Quelques secondes de paix. »

vendredi 20 juin 2008

Journaliste (2)

J’aime cette situation d’observateur privilégié de l’œuvre en création. L’artiste que j’interroge essaie de me donner des clefs de compréhension, il me facilite la lecture, oui, c’est un grand privilège. Rares sont les chorégraphes, les metteurs en scène ou les auteurs qui n’ont pas d’idée sur ce qu’ils font (enfin il y a des tocards) et mon danseur n’hésite pas à se confier, avec douceur. Je regrette de ne pas voir le spectacle avant d’écrire mes deux feuillets. Quand j’ai la chance de voir le spectacle à temps, une générale ou un filage, mon boulot c’est de faire fonctionner ma machine à interprétation car je ne peux me permettre de dire tiens, c’est beau. Et puis de toute façon il n’y a rien de plus révoltant qu’un truc juste beau. In fine, une œuvre qui n’a aucune signification revendiquée promeut la pensée unique, c’est de la collaboration passive. Ce qui n’a pas de sens est ultralibéral, moraleux, voire papiste. Donc, je ne peux me satisfaire, j’interprète, je fouille, j’essaie de comprendre. Deux danseurs, s’ils ne se touchent pas, je pense que c’est parce qu’ils ont peurs (ou honte, ou autre, bien sûr, cela dépend de leur jeu) et j’essaie de déterminer quelle contrainte, sociale, politique… empêche leur rapprochement; s’ils se battent, je peux penser que c’est par amour, l’un pour l’autre ou à cause d’une belle, même (et surtout) lorsque l’argument de la pièce est, genre, une lutte de pouvoir, deux bandes rivales qui se disputent un territoire. Le spectacle vivant montre des corps, il est par nature sensuel et, par suite, sexuel. Il n’est pas que cela, certes. Mais d’une façon générale, sans pour autant proposer de définition, et si j’en crois ma propre pratique littéraire - ou ce que je perçois des discours des artistes - ce que l’art propose, c’est une expérimentation du désir. Le peintre veut une couleur, il va tenter tous les mélanges, avec acharnement, jusqu’à ce qu’il l’obtienne : on ne me fera pas croire que c’est comme une envie de pisser, ce n’est pas le besoin qui le guide, alors qu’est-ce ? L’art c’est notre désir qui fait monde. Alors je ne suis pas de ceux qui réduisent leur désir à la « chose » sexuelle, néanmoins je suis convaincu que l’on ne peut placer le sexe ou même la pornographie hors du champ de la culture et de l’art. D’ailleurs, on ne m’a jamais fait plus beau compliment que lorsque l’on m’a reproché de mettre « trop de matière » (traduire « trop de mon corps ») dans mon écriture. Premier Jet, en effet, c’est de l’encre, du sperme et (sans dévoiler la fin) du sang.

Mon danseur, je ne l’ai jamais vu sur scène, mais je me passionne pour son travail, je me dis voilà un homme. Je suis prêt à parier sur lui, mon papier sera un des meilleurs depuis longtemps, j’en suis sûr. Mes seuls articles valables, à vrai dire, sont des lettres d’amour.

« Il paraît quand le papier ?

- Le jour de la première, c’est mercredi ?

- Oui.

- Alors mercredi »

jeudi 19 juin 2008

Journaliste (1)

Bon c’est vrai que les Théâtres du Peuple et autres Centres Culturels, égarés, semés ici ou là parmi les banlieues rouges, défrichent souvent la création contemporaine, découvrent les nouveaux talents et font venir un public parfois assez surprenant, bariolé, et même des lyonnais. Mais qu’est-ce que cela peut me faire, hein. La banlieue c’est un trou, et je ne prends pas un pied énorme à me transporter en commun. Ce n’est pas que je sois de mauvaise humeur, mais il flotte. Soudain, un journaliste sans scrupule se pointe. De connivence avec l’artiste, lui-même saltimbanque et donc, par définition, de passage, il se tire, mets les bouts, s’arrache, bref, repart aussitôt d’où il était venu. Nous l’apprendrons, la responsable de la communication de ce Théâtre excentré a subi une panne de voiture en quittant son domicile croix-roussien, ce qui explique les portes fermées. Après avoir tourné un moment avec sa bagnole défoncée, nous voilà avec mon danseur dans un café du 1er Arrondissement de la capitale des Gaules. Oui, à Lyon, d’ailleurs soyons précis, à la Croix Rousse. Le client - oui, le professionnel appelle ainsi la personne qu'il interroge, c'est un hasard - est timide, bien que n’éprouvant aucune difficulté à parler. L’empathie marche à plein et son discours à la fois nu et pensé, nuancé, ambitieux, m’inspire. Il est sincère, cohérent, explique sa démarche grâce à des citations de ses confrères, de bouquins, de films de cinéma... Et puis il évoque des épisodes de sa vie personnelle, une séparation, l'incompréhension de ses parents... Si bien que je me fais l’effet d’être un voyeur, un de ceux qui veillent dans les livres de Dennis Cooper. Le tueur s’introduit dans les jardins d’une suburb (type Long Island dans L.I.E. de Mickaël Cuesta) et se régale d’un adolescent qui se dépiaute derrière un bow-window. Ou bien il s’émeut du même môme qui se branle en soupirant avant de se coucher… Ou encore c’est un autre gamin qui s’écœure en matant un jeunot qui défèque dans la bouche d’un vieux… Non, pas à se point, qu’est-ce qui me prend, je débloque trop, je vais vomir. N’empêche, sans aller jusque là, je me sens gêné, impressionné, coupable. Honteux de n’être qu’un témoin, de n’avoir aucun rôle, c’est bien mon mal, je suis toujours à côté de la vie, jamais dedans. Pardon, je n’ai rien vu, je m’en vais, je vous laisse tranquille, excusez-moi, je ne voulais pas... Pourtant, j’éprouve aussi le sentiment, contradictoire, d’être invité à vivre des aventures inédites, sensuelles, intimes, en compagnie de ce jeune homme à l’allure triste et l’insondable grâce.

lundi 16 juin 2008

Danseur

En haut des marches du Théâtre du Peuple, vaillant temple de la banlieue lyonnaise, m’attend l’artiste que je dois interroger. Ma danseuse du jour, un garçon de mon âge ou à peu près. Okay, plus jeune. Et pas trop respectueux, je trouve, Eho est-ce que j’ai une gueule de journaliste ? De province ? Car il me reconnaît aussitôt. Pour cet accès de lucidité, cette insolence, je m’apprête à le détester.

« C’est vous Ouam ? »

Sa démarche est nonchalante, il vient à ma rencontre avec son visage ennuyé, décoré néanmoins d’un sourire qui lui lève juste un coin de la bouche. Il me salue d’une poignée franche et je remarque à l’instant sa beauté blême, ses épaules un peu tombées. Ses vêtements sans grâce, râpés, laissent deviner un corps vigoureux et mince. Il est danseur. Son regard est percé.

« Je ne comprends pas, il n’y a personne, le Théâtre est fermé. On va où ? »

Demande-t-il et je suis tenté de dire chez toi ? Je me remémore le dossier de presse de la pièce dont il doit m’entretenir. Je l’ai parcouru ce matin, j’ai subodoré le sujet de l’homosexualité ou, au moins l’homosexualité du sujet. Pas ce qui s’appelle rarissime, je dois dire. C’est une question de rédaction, d’accent mis sur la plastique des danseurs, le rapprochement des corps, les frôlements, brrrr, il m’excite, ce mec. Je le mate du coin de l’œil et j’éprouve même quelque difficulté à m’en détacher pendant qu’il me guide vers son automobile. Nous avons décidé de trouver un café et le Théâtre du Peuple est plutôt situé dans un désert, de ce point de vue. Beaucoup d’habitations, aucun commerce. Je jette comme chaque fois un œil admiratif sur ces architectures tellement décriées. Elles sont coupantes, comme classées, rangées. Défraîchies, cassées. A peine adoucies par des bosquets de Troènes qui s’avachissent sur la gale des pelouses. Nous pressons le pas, l’orage s’éclate bien, pas nous. C’est à la seconde où je vais ouvrir la portière de la Simca 1000 que j’entends :

« ENCULE SADIQUE ! »

Parole, il me poursuit. Je me retourne, comme pris en flagrant délit, je m’attends à apercevoir sa tête ravinée, sa barbe folle et ses deux globes de fer fondu. Son doigt accusateur.

« MACHO PEDOPHILE ! »

Je cherche alentours et sous cette fichue pluie, il n’y a personne.

« Vous… Vous avez entendu ? »

Je tends l’oreille.

« Euh non. Rien. Personne. »

Le danseur me tient sous son pâle halo, je suis sidéré par cette impression qu’il donne de maîtriser l’espace autour de lui, alors que ses gestes sont si las. Un coup d’œil sur le Théâtre qui s’évapore dans la lunette arrière. Ce n’est pas du jeu, oh. Si je ne suis pas adepte des backrooms ou des saunas, ce n’est pas pour sauter sur tout ce qui bouge au boulot ou dans la rue. Je ne suis qu’une pauvre âme piteuse prête à tomber amoureuse tout de suite là maintenant. De ce garçon dont les jolis traits tirés, fatigués, éloignent les ombres. J’en aurais presque des pulsions violentes de libération. Il me tient.

vendredi 13 juin 2008

Bus

En ce printemps pluvieux s’épanouit la fleur comburante. Mes sublimes Van’s bleues électriques donnent des signes de fatigue, elles pompent l’eau des flaques avec un chuintement qui manque de classe. Dernière sortie pour elles, j’en ai peur. Les trottoirs luisant sont déserts, je traîne les lambeaux blancs de mes jean’s et ma musique jusqu’à l’arrêt de bus Opéra. Non, je ne me balade pas avec du plastique dans les oreilles, je chante. Je chante, je pense à toi. J'ânonne des airs improvisés. Je ne saurais autrement te susurrer ces mots d’amour, irradiants, piquants, puissants, qui me sont autant de shoots violents et des appels, y’a quelqu’un ? Eh y'a quelqu'un ? C’est presque comique, je connais des gens qui croient qu’il y a « toujours quelqu’un », une sorte de foi que je n’ai pas, pourtant je ne peux m’empêcher de chercher à sentir ta présence, non loin, ton sourire, ta confiance. Dans les transports en communs, je croise la stupeur magnifique d’une petite troupe d’adolescentes, un homme à la grâce involontaire qui les toise, la touchante fatigue d’une vieille dame qui, peureuse, se détourne. Tandis que je m’éloigne du centre de Lyon, avachit sur un siège, le paysage s’abîme, s’effrite et la vitre du bus, striée de vergetures translucides, me glace le front. L’orage s’énerve, je me sens bien au milieu de ce maelström hypnotique, je chantonne, je dois faire l’effet d’un fou à mes quelques compagnons de voyage mais qu’importe. Et si l’un d’eux, lui, le garçon, venait à me reconnaître, à aimer le petit air récurrent qui s’installe autour de moi ? Il se poserait, précautionneux, sur le siège libre, pour m’écouter. Je chante pour lui. Ou bien pour ce petit garçon qui n’a pas peur de s’étonner, de l’autre côté de la vitre, nous nous regardons un instant. Il courrait en riant, il s’arrête, le temps de ce curieux échange. Combien de fois ai-je ainsi rencontré un peu plus que le regard d’un môme, tiens, le sourire me gagne. J’aime apercevoir ainsi, par exemple sous la pluie, au coin d’une rue ou d’un jardin, ces petits animaux de désirs. Je me souviens le feu sous la peau, sous les sourcils et la tignasse brune, dans le K-Way froissé, dans les bottines. Je le sais, seul en moi le sentiment de toi saurait imiter ce juvénile embrasement. Encore quelques arrêts.

mercredi 11 juin 2008

Pénétration

Il y avait sur le visage du gentil garçon que j’enculais cette expression proche du martyr, ou de l’enfant pris dans les convulsions de son chagrin le plus intime. « Vas-y, vas-y à fonds », suppliait Jmlepoil et je sentais le plaisir poindre au bout de ma queue parce que je désirais croire que ses traits déformés, preuves également de son niveau d’abandon et de confiance, exprimaient une émotion à la frontière de la douleur et de la volupté ultime. Mon couteau plongeait dans sa plaie, lui fouraillait le ventre et j’avais pour lui, à cette instant, tant d’amour. Ces secondes, ces minutes, tandis que nous éprouvions la sensation de décoller, de planer au-dessus de nos misérables dépouilles, étaient aussi une incursion du réel, par l’invasion des sens, un tangible témoignage de nos existences, oui, le corps est la source de l’âme et c’est pourquoi il en est la prison. Mais mon désir, qui se jette sur le monde et qui tâte et qui tord et qui mord la chair des hommes, me guide, avec toute sa rage, vers le sentiment de réalité, vers la sensation d’un monde vivant autour de moi. Le désir est ma démence et mon démon. Il fait l’intermédiaire avec le monde visible, blessant, lisse, moite, bruyant, haletant, puant, goûteux… Néanmoins, laissé nu - j’ai écrit : sans objet - il me torture, c’est une main qui me fiste, me bride les tripes et me manipule tel un navrant guignol de backroom.

mardi 10 juin 2008

Ce qui me tourmente

Bisous. Ce message unique tombe sur moi, il émane de l’oiseau blanc. Bisous. Depuis deux semaines il reprend contact, il insiste. Un petit mot, chaque jour. Bisous. Avant de se coucher.

Il aurait le droit de m’en prodiguer autant qu’il veut, des bisous. Je me laisserais chavirer entre ses doux bras blêmes, je me laisserais lécher le visage, le gland, les aisselles.

Sauf que je doute un peu de mon plaisir. Car ce beau spécimen, dont je tâterais volontiers une fois encore le fessier ferme et rond, suce comme une fille, quoique goulûment, et baise comme une cuillère. Nos baisers ne furent à aucun moment cette espèce de faim, d’aspiration de l’autre, d’appropriation de fluide vital : il existe des garçons qui se nourrissent du plaisir de l’autre, mais jusqu’à le vampiriser, à le digérer, l’impression qu’ils se goinfrent et il faut se défendre, muscler le propos… Avec lui il y eut les baisers adolescents, maladroits, nuls, on m’a dit qu’il fallait mettre la langue et tourner, tourner; et les pâmoisons, les jonctions momentanées, les muettes prières résonnant sous les poitrails sans souffle. Mon bel amour, mon bel amour. S’il avait su m’offrir sa peau tendue par l’effort et la jouissance, si j’avais pu en traces rubescentes y dessiner les runes qui m’obsèdent, mon poème, ma lettre d’amour, l’aurais-je écrite pour lui ? Mon ardente faconde abrite en sa chapelle de nombreux corps tordus, ceux de tant de garçons, d’oiseaux lyre, gris comme des romans à composer, coulant comme des cierges sur l’autel de mon désir… Je ne trouve aucun repos. J’aurais voulu proposer en rituel à mon amant la plus infernal monté de plaisir, ah… Mon amant, mon amant n’a pas de chair. Un rêve enfanté par des bombes et lancé sur mon livre. Un rêve qui me trouble, il faut me croire, la surface sombre de ma lettre s’en trouve affectée d’exquis et infinis rebonds. Je me sens impuissant. Play with me, sweet Cody Lockheart. Je me caresse avec l’espoir de me débarrasser de mon désir d’étreinte, de ces baisers qui sont en moi et ne s’en libèrent pas. Sors de mon corps, sors de mon corps, ô démon. Mais je n’éjacule pas parce que je suis comme une petite salope qui se préparerait pour le coïte. Je dois me préserver pour mon amant. Ce mot qui me cueille chaque soir m’assèche. Le monde est virtuel. Je ne trouve aucun repos.

jeudi 29 mai 2008

Je suis un écrivain

Je dessine sur les restes lacérés de La Littérature à l’estomac. De longues balafres, au stylo rouge, pour qu’elles aient l’air sanguinolent. Des croix, des courbes qui ont l’aspect juste dentelé des déchirures. Des motifs géométriques. Des plaies. Je pense, je trace une géographie. Je caresse du doigt la coupure inégale, tâtant de la chair en souffrance d’une page gorgée de rouge. Des lignes, des frontières où je patauge, je m’y tiens comme en équilibre. Ne pas tomber dans le trou, ne pas ripper sur le pus, ne pas tomber dedans le corps. Je sais bien que l’objet démantibulé, éparpillé, parcouru de signes noirs, était un livre. Cela me maintient dans un malaise, une frénésie interne, je m’affole et j’en jouis. En détruisant ce livre jaune, en le gribouillant, puis, tiens, si j’en balançais des morceaux à travers la chambre, on dirait une pluie de billets de banque, et si j’en mâchais une feuille, si je l’avalais ? Je me venge de toute cette clique fermée clic-clac à double tour et qui publie toute l’année toute cette merde (mais pas seulement) et qui ne s’aperçoit même pas de mon existence, je la conchie cette clique qu’un Julien Gracq honnissait tant, lui qui semble être devenu, par la grâce de ses adverbes, de son culot et peut-être de sa mort, une référence à l’égale des Proust, Flaubert... Et ce faisant, j’exprime la fleur de mon désir. J’écris.

mardi 27 mai 2008

Je n'ai pas lu Gracq

La déchirure, l’idée de la déchirure me vient au hasard d’une lecture, ou plutôt d’une non-lecture. Au départ, rien ne me gonfle davantage que les lectures obligatoires. Quoi, tu n’as pas lu Ellroy ? Ben non. En fait, si, j’en ai lu un ou deux, en catimini et c’est pas mal. Toi, me dit-on, il faut que tu lises Bukowski. Un de ces quatre, promis, j’achèterai un Bukowski, mais ce sera quand on aura cessé de me gonfler avec. Et puis le pire des conseils que l’on puisse me donner, c’est de lire un auteur qui vient de mourir. Julien Gracq. La littérature à l’estomac. Me restera un mystère. Ce monsieur a méprisé le Goncourt, cela lui donne une valeur à mes yeux. Il pensait en revanche qu’il n’y avait de lecteur digne de lui qu’armé d’un couteau. A l’ancienne, pour découper une à une les pages. Une exigence de l’auteur auprès de son éditeur. Mais moi, un couteau, même un grand, je ne trouve pas que cela soit une grande idée. Je suis bien tranquille, installé sous ma couette, incommodé mais de façon passagère par l’odeur persistante de brûlé que le minidou (vanille je crois) ne combat plus. D’un geste brusque qui se veut pourtant assuré, précis, assumant l’héritage des millions de lecteurs du passé qui ne se sont jamais plaints de ce petit travail manuel préalable, je... déchire le livre. Plusieurs pages. Eventrée La Littérature à l’estomac. Avec d’abord de la désolation, un peu de frustration, c’est forcé, je reste interdit devant le dessin de ces déchirures. Cette vision d’un livre abîmé me provoque un haut-le-cœur. Je reprends mon souffle. Et puis après tout qu’il aille se faire foutre, le Gracq. Donner un couteau à son lecteur, n’est-ce pas courir le risque de l’autodafé ? Je l’avoue, ma rage, ma joie, m’ont alors inspiré un crime et une vengeance et je jure bien d’en avoir eu le cœur prompt.

mercredi 21 mai 2008

Essence

Je me tourne et ça y est, j’ai dormi, puisqu’il fait jour. Un pied, puis l’autre, puis bzzzzz, me voilà devant l’ordinateur, je déambule parmi les blogues. Je me stérilise le gosier avec un café noir, surmonté d’un peu de mousse marronnasse. Je rêve d’un amant, jalouse un beau talent, ailleurs je ris d’un trait subtil ou me désole de tant d’évidentes impérities. L’imprégnation de la toile m’est funeste. Je me perds parmi la foule. Navrantes solitudes en couches successives, collantes, émouvantes en nos châteaux de vent… Les histoires se ressemblent. La mienne est banale. Qu’est-ce que je fais ici ? Je me veux écrivain, je cherche mon lecteur et ma muse. A quoi bon écrire si je n’ai ni l’un ni l’autre. Je me fais parfois l’effet d’être un de ces pauvres hères de la Star Academy. En moins joli à regarder, disons en moins baisable. J’ai été frappé, en écoutant le témoignage de deux ou trois d’entre eux, par l’expression sincère de leur vocation : je suis chanteur depuis toujours, à l’âge de trois ans j’ai dit que je voulais chanter, je répète dans ma chambre sur ma chaîne Hi fi, je suis nul à l’école mais c’est parce que je ne pense qu’à chanter, d’ailleurs j’ai toujours su que je serai une star… Et puis après, le miséreux, tu l’écoutes un instant et tu es atterré. Eh gamin, ai-je envie de lui susurrer, tu seras star par la seule gloire de mon vit et si tu ne viens pas t’y empaler... Suis-je aussi immature, aussi crétin que ces mômes ? Mâtin, je n’en peux plus, si je ne suis pas écrivain, j’existe et je n’ai plus d’essence. Trop chère, peut-être ah ah, l’essence. Ce matin, cherchant à m’immiscer dans le grand concert électronique des logorrhées virtuelles, j’existe et je n’ai plus d’essence.

jeudi 15 mai 2008

Etranger (2)

Pas souvenir d’avoir tant bu pourtant. En pleine nuit je me réveille avec la sensation angoissante de ne pas être seul. J’ai mal à la tête, je suis chez moi, il fait nuit et surtout j’ai trop chaud. Je réfrène à toute force mon instinct idiot qui commande de me lever et de faire le tour de l’appartement. Je calcule que je possède un grand couteau et je me dis qu’il serait plus prudent, la prochaine fois, de le ranger sous mon lit. Imagine quelqu’un qui se saisi de mon couteau, dans la cuisine, après je suis démuni contre lui. S’il m’attaque. Je ne respire plus, je ne bouge pas, histoire de percevoir le souffle retenu de l’ombre qui s’est glissée chez moi. Et je ne l’entends pas. Ce que je peux être couillon, un vrai môme. Je sais bien que je suis seul. C’est même là mon plus grand drame. La tête me brûle, c’est pour ça que mon cœur bat, qu’il s’emballe, c’est pour ma tête, c’est mon circuit de refroidissement qui se met en branle. Comme quand j’ai trop bu, j’ai sans doute un peu trop bu hier soir. Je n’étais pas parti pour une cuite, puis voilà, j’ai croisé l’oiseau en bas des pentes de la Croix Rousse, il se traînait, piétinait ses plumes blanches dans la poussière, cet ange. Marrant ça (hein, Kooz), que le désir, démoniaque instrument de nos rapports au monde puisse ainsi désigner, en un parfait étranger, un autre que nous, au tournant d’une rue, à la terrasse d’un café, celle ou celui qui sera l’ange, la créature divine, le sujet de nos fantasmes et de notre poème. L’oiseau blanc était un peu triste, je crois, ses tendresses m’allaient droit au cœur. J’ai dû boire beaucoup sans m’en rendre compte et cette nuit je me réveille comme d’un cauchemar. L’autre côté de l’oreiller est plus frais, il soulage un instant ma boîte crânienne, ma cervelle, mes organes, décidément, prennent trop de place et sous la chaleur estivale ma peau, mes os ont du mal à me contenir. L’ombre qui me tourmente est mutique et immobile dès que je tends l’oreille. Maintenant je dois retrouver le sommeil. L’ombre qui me terrifie, pauvre fou, c’est la mienne.

vendredi 9 mai 2008

Etranger (1)

Jamais je n’aurais cru un jour écrire une telle ineptie : ah que ça fait du bien de bosser. Voilà, c’est fait. Je sais depuis longtemps que l’action sert à oublier qu’on ne peut rien et l’oubli, en ce moment, c’est juste ce dont j’ai le plus besoin. A trop me regarder le nombril, je louche inévitablement vers ma petite protubérance caverneuse et oui, se mater le zizi n’est pas toujours signe de bonne santé. En plus, si l’on songe à l’image, cela m’oblige à courber l’échine, symbole de ma misère. Je devrais peut-être me le zigouiller, des fois, me le guillotiner en espérant qu’il ne repousse pas tout de suite. Le boulot. J’ai un contact sympathique avec une jeune femme à l’Hôtel de Police qui me donne plein de petits détails croustillants concernant les accidents de la route ou les petites vieilles qui pourrissent dans leur HLM. On rigole bien. Le patron du coup me laisse appeler, il me prête son téléphone et donc je me pointe dans son bureau tous les matins. La rédaction commence à s’habituer à moi, j’ai droit à un sourire de temps en temps et je participe souvent à la conférence de rédaction. Debout, près de la porte, en compagnie des stagiaires et de deux ou trois collègues pigistes, j’ai une vision de toute cette clique de branleurs. Enfin, je dis branleurs, je suis impressionné par deux journalistes assez pugnaces, jamais à court de sujet, dont je crois percevoir la grande culture, capables, l’un et l’autre, d’écrire des phrases correctes. Pas des rigolos quoi, et je dois ajouter qu’ils agacent et qu’ils tranchent au sein de ce ramassis de flèches. On ne soulignera jamais assez la fatuité du journaliste et son absence totale d’idée. Le métier est loin de la littérature, un journaliste peut exercer sans jamais lire un bouquin, il se nourrit de dossiers de presse et de discussions, écrit à minima, style scolaire, en faisant attention à ne surtout pas employer de mots « difficiles ». Celui qui croit, en lisant son journal, qu’on le prend pour un enfant ou pour un crétin, ce qui est souvent la même chose, a bien raison, cela fait même partie de la formation. Moi je me considère de passage, pas concerné. A côté. Cela m’aide beaucoup à continuer, de penser que je ne suis pas l’un d’eux. Ce sentiment rassurant d’être l’étranger me permet de bâcler mes papiers l'esprit tranquille et, donc, de leur ressembler suffisamment pour faire bonne figure. A la limite, on est tous des étrangers, ici. Qu'ils aillent tous se faire voir.

lundi 5 mai 2008

Comme un dimanche

Ma journée. Raconter ma journée. Je ne suis pas dans un super état. Fini une bouteille de Glenfiddish alors que je ne suis pas fan du Glenfiddich. Avec Jane, hier soir, dans sa nouvelle maison. Pendant que ses mômes ronflaient on s’est torché. Puis aujourd’hui je coule. Fatigué toute la journée, infoutu de réagir. Je dors un peu, pas assez. Je ne sors pas, j’ai envie pourtant, j’essaie de trouver une raison valable de sortir. Dimanche. A la limite je pourrais me promener, ce n’est pas une mauvaise justification la promenade mais j’ai peur de rencontrer du monde. Je n’ai rien à dire à personne, en faits, je me sens mal à l’aise à côté des gens, pas tout à fait avec eux et mon cerveau ne répond pas comme je voudrais, oui, c’est ça le problème, il ne répond pas assez vite. Si au moins je trouvais les ressources nécessaires pour m’éclater seul dans mon coin, mais non, je m’ennuie. Par ma fenêtre ouverte j’entends les oiseaux s’égosiller ce matin et c’est tout ce qui est audible. A part une porte qui claque, elle fait trembler l’immeuble un quart de seconde. J’attends, immobile, aux aguets. Je repère deux ou trois autres bruitages signifiants l’activité urbaine, un moteur de bagnole par exemple, ou un transistor lointain. Mon appartement donne sur la cours d’où me parviennent parfois les passables premiers pas d’une trompette, le son vaporeux, gymnopédique, d’un piano parfait ou les grincements enjoués d’une radio périphérique. Délice hors d’âge que cette atmosphère estivale, un dimanche matin. Délice auquel je me prépare, j’en espère un petit témoignage de vie humaine, mais ce n’est pas encore l’été, un coup d’œil me confirme que je suis le seul à ouvrir mes fenêtres en grand. Sont-ce les martinets qui hurlent ainsi de concert ? Le soleil. Je me souviens de ce voisin schizo dont je suis aujourd’hui débarrassé. Il saluait le soleil tous les matins en lui hurlant ses pires insultes : PEDE, ENCULE… Ce qui me rassure, c’est que je n’en suis pas encore à cette extrémité. D’abord j’aime le soleil et en plus je suis presque potable quand je suis bronzé, presque. Après, la journée n’est pas toujours bien facile à vivre, enfin surtout quand je n’ai rien à faire, comme aujourd’hui. Peut-être qu’un jour je me retournerais contre ce SALOPARD qui vient me NARGUER tous les matins. Je suis sûr qu’il ramène sa fraise juste pour me rappeler que je ne suis qu’une BOUSE qui ne sait pas quoi faire de sa pauvre inexistence de BOUSE MOCHE ET MOLLE. Le temps me paraît long et aussi je ne veux surtout pas qu’il me file entre les doigts, du temps, c’est tout mon bien, je n’ai que ça. Soudain c’est le soir, Jane m’appelle, euh ça va. Je dis okay, je viens discuter le bout de gras dans ton jardin sale bourgeoise. Et je n’y vais pas.

vendredi 2 mai 2008

Tu me fuis

Plus doux que moi, tu ne te rends pas compte. Moi qui ne suis capable de rien. Petit retour introspectif. Catharsis écrite ici sans gant. Petit gars crotté sur le bord d’un trottoir humant la vie des autres, j’étais déjà seul et unique. Unique. Je cherchais. Cherchais. Des yeux. Je tâtonnais alentour. Un homme. Je n’ai jamais fait que cela. Chercher un homme. La main amie, le souffle amène, la peau molle et tiède, la chair ferme et délicieuse comme un beefsteak le vendredi. Je portais mon père jusqu’aux gogues, je portais tant de gens. J’étais alors adolescent, je restais vautré devant une télévision couleur ou bien rougissant d’excitation et de honte devant un minitel super pink, je désire les garçons à tel point qu’il faut que je me soulage et, ensuite, je ne les désire plus, est-ce que je suis pédé ? Mon père est mort d’un cancer, il dysfonctionnait de jour en jour, je le veillais toute la journée. Il appelait, j'étais le seul à pouvoir le porter jusqu'aux double vécés. Je peux porter les hommes et les femmes qui aiment à se tenir droits. Pour aller aux chiottes, hein, parce que, au final, marcher. Nous barbotons dans notre propre fange, que laisse-t-on derrière soit, quelle trace ? Les humains n’abandonnent derrière eux, comme sortant du cul d’un canard mécanique du sieur Vaucanson, que leurs excréments. Ils en lâchent même tellement qu’ils se font rattraper, très vite ils marchent dedans. Rousseau a écrit que les français n’aimaient pas manger, parce que sinon ils ne mettraient pas si longtemps à préparer des mets qu’ils avalent aussi vite. Il pourrait y avoir une autre hypothèse. Peut-être qu’un français c’est assez débile pour croire qu’un mille-feuilles de foie gras au pain d’épice avec des pommes caramélisé, accompagné d’un Sauternes cuivré, un Château d’Yquem aller, il ne peut en ressortir, au bout du bout, que de l’or ? Une question de point de vue, à tout le moins. L’image est audacieuse, mais c’est ce que je voudrais être pour ceux que j’aime : ce délice, cette douceur et même, soyons fou, ce raffinement. Plus doux que moi. Après le baccalauréat, j’ai été incapable d’obtenir le moindre diplôme, j’ai des goûts de chiotte alors je ne peux même pas faire ma pédale spécialiste en décoration d’intérieure, en faits je ne sais rien faire de mes dix doigts si ce n’est tenir un stylo et autres objets oblongs. Je lis un peu plus que la moyenne, ce n’est pas bien dur, j’écris tous les jours et ça c’est dur. Je constate ma propre vacuité, rien n’existe en deçà de notre rencontre. Attention, à force de lister mes insuffisances, dans les secondes qui viennent je vais être au fond du trou. Je suis seul, le monde est vide. Je sors ma lanterne. Je cherche un homme.

mercredi 30 avril 2008

Tu me suis

Ce petit double menton dès que je baisse la tête, ce torse curieusement massif, mes hanches larges et mes bras sans forme, je ne saurais draguer juste sur mon apparence. Alors je me pose quelque part et je me fais une grimace ténébreuse, en espérant que mon petit cul suffira à aimanter le gamin de vingt ans qui se dirait ouah un adulte. Aller je déconne. Mon air dangereux interdit à tout garçon de m’approcher et s’il le faut, j’ajoute le son, le petit mot qui va bien. Pourtant la vérité c’est que je ne fais pas exprès. Je suis très bête car je ne désire que cela, que tu m’abordes, tiens, au coin d’un comptoir ou d’une rue. Mais je me sens tellement indésirable, moche et, surtout, effrayé par ma propre vacuité, que je suis prêt à te le reprocher. Qu’est-ce que je peux te dire, euh tu es mignon toi, ou bien, t'as des histoires à me raconter. Deux exemples. Un gars, du genre à me sécher juste avec son sourire, au Lax ou au Medley, danse à côté de moi, je le mate comme un salaud. Deux ou trois fois, nos regards se croisent. Avant de partir il me bouscule, il s’est dirigé direct sur moi, bing, un coup d’épaule. J’aurais voulu lutter, menacer… si tu ne mets pas tout de suite ta langue dans ma bouche, prends ma main dans ta super belle figure. Je le regarde s'éloigner en passant sa veste noire. Le lendemain, ce garçon sublime, vêtu tout de noir, m’a peut-être suivit comme mon ombre, puisque je le retrouve à cent lieux d’une boîte gay, dans mon café fétiche. J’en ai le front levé, fier, le muscle chaud, la gorge sèche. Il s’en va, ma soirée se termine, comme une soirée. Au fond d’une allée croix roussienne, au bord d’un jardin, ma copine Jane déménage et je suis fringué en conséquence, très classe. Un jeune homme éblouissant me demande si j’habite ici. Euh non. Je ne comprends pas pourquoi il veut savoir ça et puis surtout il est beau. Il me voit interloqué, cherche à me rassurer, il voulait récupérer des vieux journaux, des Top affaires ou des Paru Vendu. Hum les seuls journaux honnêtes que je connaisse.

« Désolé, je ne sais pas du tout où en trouver. »

Je lui donne un sourire confiant, il m’en offre un qui m’écrabouille la cervelle. Et puis la journée continue, comme un déménagement, avec du sang (aïe mon pouce), de la bière et des rigolades. Deux exemples parmi tant d’autres où je sens la potentialité d’une situation, la rencontre au bord des lèvres, et pourtant je ne dis rien. Dans le premier cas je ne me crois pas assez séduisant, dans le deuxième pire encore, puisque j’en suis même à redouter un scandale. Pour finir, je sais que suis responsable de ma solitude. Comment te rencontrer si, chaque fois, je te fuis ?

mardi 29 avril 2008

15/20

12 heures. Je me suis fait une nuit de 12 heures. Longtemps que cela ne m’était pas arrivé. Au réveil, une sorte de quiétude. Je n’ai mal nulle part. Un café expresso bien classe, brûlant, moussu. J’ai envie d’écrire.

Et puis j’appelle le chef, je veux du boulot, n’importe quoi, même les chiens écrasés, je peux faire le tour des commissariats de quartier s’il le faut, d’ailleurs j’ai aussi un ou deux sujets à lui soumettre. Je tiens une forme de fou, il convient d’en profiter et ce matin je suis prêt à toutes les bonnes résolutions. Dorénavant, j’appellerais le journal tous les matins, même si je n’ai pas d’idée, au moins pour dire que je suis disponible. Ce serait délirant, si je pouvais soudain devenir un mec normal (sic). Je veux dire un journaliste (re-sic), rémunéré (re-re-sic), qui ne serait pas obligé de mendier quelque misérable sou, chaque mois, à sa mère. Ok je délire. N’empêche, la stratégie semble bonne car j’ai derechef un boulot pour demain. Deux coups de fil. J’enfile un short, celui que je viens d’acheter, il me moule gentiment les fesses. Et mes baskets, peut-être que je vais croiser Querelle et son pote F., affalés sur un banc du parc de la Tête d’Or, inondés de vodka, la dent dure, 15 sur 20 mon cul, pas moins, quand je cours.

dimanche 27 avril 2008

Train-train

Une danseuse arrive à la gare de la Part Dieu à 16h01, elle reprend un train à 16h42 et je dois l’intercepter. Je l’appelle sur son portable, numéro extorqué dans la matinée à son attachée de presse, bien sûr elle ne me répond pas, elle fait sa bêcheuse. Eh ben on n’a pas fini. Comme d’habitude je suis en retard, essoufflé, échevelé, ah non, pas échevelé. Sur le quai, ma cible est repérable à deux kilomètres, entourée de sa cours de ramasse-miettes emballés dans du clinquant, de la pacotille, de la fringue parisienne. Tu parles d’un boulot, va falloir passer les barrages, demander la permission d’approcher la diva à cette bande de piètre glaneur de gloire. J’ai le sourire engageant, la poignée de main franche et la jeune femme que j’accoste est conquise. C’est l’administratrice, elle fond, voire elle coule, c’est du miel. Elle ne serait pas contre un petit coup derrière le wagon de queue, la conne. Je la laisse espérer le temps d’être présenté, tout roule. Pendant que la danseuse commence à répondre à mes questions, pas de temps à perdre, nous cheminons vers le hall de la gare et la mielleuse, non sans avoir tenté un sourire, court devant nous au renseignement des trains au départ. J’ai du mal à écouter ce qu’on me raconte, je prends des notes ici ou là mais je ne comprends pas grand’ chose et je doute de pouvoir écrire un article cohérent. Je pense que le chef au journal m’en voudra à mort si je n’assure pas sur ce dépannage au pied levé et de penser ça, je ne peux plus me concentrer sur ma danseuse, je m’affole, je me force à écouter, je note un ou deux mots et je perds à nouveau le fil, je pense qu’il faut que j’écoute et ça m’empêche d’écouter. Je suis un vrai malade. Dans le métro, ensuite, relisant mes gribouillis, je suis un peu rassuré car j’aurais de quoi broder un feuillet et c’est tout ce qu’on me demande. Après tout, une entrevue à la sauvette, entre deux trains, Madame refusant de s’exprimer par téléphone… personne ne pouvait en espérer davantage. A 20 h, papier rendu, au journal ils sont plutôt contents, le chef parce que j’ai répondu à son attente, le journaliste que j’ai remplacé eh bien parce que je l’ai remplacé. Tout roule, dans ce train-train que je voudrais bien attraper, cette fois. Suffit d’être un peu efficace, comme aujourd’hui, et à l’heure.

mercredi 23 avril 2008

M Pokora

« Tu m’accompagnes voir M Pokora chez Virgin.

- C’est qui M Pokora »

Sympa de revoir l’oiseau blanc, il est en jogging pourri, veste Tati avachie sur ses épaules et il ne s’est pas rasé. Mon ignorance crasse réussit à sublimer son sourire juvénile, il est ravissant ce couillon et il m’explique :

"Un chanteur.

- Super ton nouveau style mon chou, la Pokora elle va adorer.

- Oh mais j’ai pas eu l’temps ce matiiiin »

Je l’accompagne un moment dans la queue avant de trouver une excuse pour me barrer. C’est pouffeland ici, des nanas, des tafioles et moi au milieu, pédé aussi mais j’ai oublié mon sac main. Je remarque que même déguisé en pauvrette, c’est mon oiseau blanc le plus joli. Il croit tellement que je suis amoureux de lui, il se sent en confiance.

« Tu sais quoi, avec la Vincent, on a pris nos places pour la Kylie.

- La quoi ?

- Ben Kylie enfin. On n’a pas pu en acheter pour Paris alors on s’est rabattus sur Genève.

- Ah ?

- C’est plus loin mais…

- …Ah non, je ne dirais pas ça, c’est même plus près.

- Et tu sais quoi, le concert il est en juin 2009. »

Je lui dis que j’ai un coup de fil urgent à passer, je quitte la file, ouf. Je fouille un peu ma liste de contacts, histoire d’appeler vraiment quelqu’un et je tombe en arrêt sur celui de mon chef au journal.

« Imagiiiiine il était en face de moi »

Il me rejoint au café, je lui paye un Orangina avec une paille.

« Tu sais ce que je lui ai dit avant de partir ?

- Nan ?

- Je lui ai dit…

- T’es nul comme chanteur tu lui as dit.

- Pfff t’es bête il est super beaaaau et puis d’abord il chante bien.

- Alors qu’est-ce que tu lui as dit ? »

En me l’avouant, sa peau blanche, sous ses oreilles, se marbre de rose et d’ailleurs il était cramoisi, paraît-il, quand il a prononcé devant, j'imagiiine, le bellâtre blasé :

« Je t’aime »

mardi 22 avril 2008

Paracétamol

Je suis surpris quand même, je ne me rappelle aucun coup. Pourquoi, dès que j’ai bu, je ne ressens plus rien. Les écorchures, les plaies, les coups. Je me mate, m’examine, je suis couvert de bleus. Un, deux, trois, quatre bleus. Les jambes, les côtes et un sur le bras. Mon visage, eh bien mon visage est indemne, si j’en crois le reflet que je reçois, au-dessus de l’évier. Façon de parler bien sûr, puisque mon cuir ex-chevelu garde le stigmate de ma dernière incursion chez les pédés. Un beau pansement tout blanc. Je me sers un verre d’eau, j’avale deux Dolipranes en pensant à Guillaume Dustan. Il s'en nourrissait et je comprends pourquoi. Fait soleil aujourd’hui. Je ne crois pas que je pourrais en profiter. Je ne pense plus à mes cachets effervescents de citrate de bétaïne, et puis si, mais alors il faut que je me relève et je me relève. Mes pieds sur le carrelage. Obnubilé par le mouvement du pendule, en moi, le silence et la fraîcheur, sous la couette, m’engourdissent, ah si je pouvais dormir maintenant. Je vire alcoolo, je picole presque tous les soirs. Hier c’était la cuite de trop, la preuve. Deux fois en l’espace de deux semaines, je me mets le compte à tel point que je reviens chez moi avec des bleus ou une plaie sur le crâne. Un gros trou de mémoire en prime, mais cela, je commence à en avoir un peu l’habitude. Je vais pisser, je traverse le jour éclatant de la pièce principale, en trombe, content, car lâcher du leste devrait me décongestionner les tripes. Mes entrailles, je les imagine ainsi, prêtes à éclater à cause de mes excès, des tissus rosés, bombés, des fils tendus et des organes compressés, suffoquant, surchargés de travail. Et tout ça baignant dans un liquide dégueulasse que je situerais entre le pue, le sang et, peut-être, la bière à moitié digérée. Je souffle, dans le lit. Je cherche une position. Je dois imaginer un truc agréable. Autohypnose. Il me vient des phrases, un récit se forme. Je pense que le paracétamol fait son œuvre parce que je me sens calme. Ça me plait bien ces histoires de tripailles ensanglantées, je trouve que c’est un bon résumé. Je me planterai peut-être un jour une lame dans le bide, pas pour le suicide, non : pour me décongestionner. Je souris à cette idée. Je trouve une position. Je perds connaissance.

dimanche 20 avril 2008

Tambours

J’aime m’éveiller avec les restes d’un joli rêve et mieux encore d’une belle bandaison. J’ai rêvé de toi cette nuit. Quand je bois le soir pourtant c’est le genre de douceur qui me fuit. Ta présence à mes côtés s’effiloche, maintenant, mais tant pis. C’était bon. Coup de chance, ton regard et ta main se sont posés un instant sur ma peau. Je veux me réfugier dans le cocon du souvenir. Je bouge les jambes sous la couette, à la quête d’un peu de fraîcheur, ce n’est pas ce qui manque en ce moment, il fait 14 dans ma chambre, pas plus. Les membres endoloris par ma cuite, comme si j’avais dansé all the nite, les yeux irrémédiablement ouverts, j’ai la certitude que je ferais mieux d’essayer de me rendormir avant… Est-ce que j’ai tellement bu ? L’heure, 10 h, pas moyen de se discipliner, j’ai mal partout, si je ne sombre pas vite, ça va cogner. Mission doliprane, citrate de bétaïne, verre d’eau en perspective, mais, à la seconde, là, non, pas envie de me lever. J’essaie en vain de dormir. Je fais semblant, des fois ça marche. Je trouve une position. Puis une autre. Puis une autre. Encore. Et les tambours mutiques me tombent du dedans, ça y est, ils sont là, lents, ils battent leur stupide tempo, lent. Je m’entête, la face froide d’un oreiller sur ma nuque m’offre un répit trop court. Je change de position. Encore. Je ne ferme pas les yeux. Je décide d’aller en mission. Je me prépare à la station debout. Je ressens les courbatures, elles me lancent vraiment. Une soudaine appréhension : je soulève la couette et… Non. Pas de sang. La sensation de ta présence, une seconde, un lambeau de ce beau rêve, me rassérène, m’inspire le courage de me lever. Ça ira. Je me traîne et je n’ai pas l’impression que mon crâne avance à la même vitesse que mes pieds. Doliprane, ou es-tu ? Eho ! J’ouvre tous les placards avant de trouver la plaquette de pilules sur la table encombrée de la cuisine. Ça tambourine, ça tape. J’attends que se dissolve la citrate et c’est là, en baissant la tête, car elle est lourde, que je remarque mon premier bleu.

vendredi 18 avril 2008

Bitte schön

La bise rafraîchit tout ça, les tendresses et les brefs au revoirs s'étiolent. Les rescapés sont tentés d’entrer dans l’antre chaleureux du café d’où ne s’échappe plus de ces paquets de brouillard qui portaient les rumeurs et les airs de jazz, auparavant, en bouffées longues et lourdes. Un bel allemand en veste de jean’s blanc stationnant alors devant la porte s’écarte et, tenant d’une main son clope, tire à lui la poignée pour nous laisser passer.

« Danke sehr » Tenté-je vainement.

Depuis quinze ans, peut-être davantage, je me dis qu’il faudrait que j’habite Berlin quelques temps, l’allemand est une langue dont le rythme et la musique ont cet étrange pouvoir de me combler. Alors un beau garçon qui m’apprendrait sa langue…

Le coin du comptoir n’attendait que ses colons habituels et nous y laissons chacun un coude. Ça commence foot, sujet facile, rassembleur, sans enjeu. Ah ouais, Benzema, ah ouais. Le Peuple de l’Herbe, son dernier album ? Sur scène ils déchirent en tous cas. J’ai téléchargé les Ch’tis tu parles d’un navet. T’as vu quoi au Sonic ? Oh non, tu pousses, il y a un ou deux bons gags. C’était pas mal les deux ans du Sonic, Sun Plexus, Cheer Accident, Deborah Kant. Bon je vais y aller parce que demain sinon. Tu payes ton coup ? Aller celle du patron. On va la gagner tu crois, cette coupe ? La fête des yeux, ça s’appelle, une fille comme elle. Tu les décroches quand ces croûtes ? Ah merde elle était derrière moi quand j’ai dit ça ? Combien je te dois. Oh oh la touche que t’as j’avais pas vu les pompes roses. Elles sont pas roses d’abord elles sont mauves. Aller ciao les gars keep the pressure. Elles sont mauves t’es pas d’accord. Ciao mecton.

Bourré comme je suis, je me demande si je dois me rendre dans une boîte homo pour me rassasier le regard, pour croire un instant que je pourrais serrer un beau garçon dans mes bras, pour ma foi en mon désir. Puis non. Je vais rentrer chez moi car je ne veux pas me donner l’air de mendier un sourire ou une caresse. Dodo.

jeudi 17 avril 2008

Tonton Ouam

Jane a deux jolis mômes. Bruyants, bavards, endurants, ils jouent sur le trottoir, entre la pharmacie et la rangée de voiture. Nous, les adultes, jetons un coup d’œil sur leurs ébats et filons tranquillement, posés comme des fèces à la terrasse de notre café favori, vers l’ivresse.

« Non p’tit gars tu n’entraînes pas ton frère sur la rue, on te l’a déjà dit hein, les voitures c’est la limite »

Outre la petite famille de Jane, nous sommes quelques-uns à divaguer au grès d’un petit vent qui, bientôt, finira par nous séparer.

« Ah, et puis il y a des merdes de chien, là, les enfants »

Je goûte ces moments où nous n’avons pas toujours grand’chose à nous dire, juste nous sommes ensemble et cela nous suffit. C’est une croyance, une foi, nous sommes ensemble et cela nous suffit. Je sais déjà que Jane va s'enfuir avec la nuit, me baisera les deux joues, ses deux magnifiques petits bouts de futurs névrosés, tout sourire, me sauteront au cou et leur papa, dépliant à regret sa carcasse, me lancera un bienveillant salut tonton Ouam. Deux ou trois poilus célibataires, l’œil aux aguets mais cette fois de la moindre jeune femme esseulée, prête à s’ouvrir, accompagnerons ma fin de soirée.

dimanche 13 avril 2008

Vivez

Je suis seul. Je vis dans un monde où je ne rencontre personne, désincarné, vide. Mon regard ne porte pas, mes mots je les écris ici aussi parce que je ne puis les prononcer. Les susurrer à ton oreille. Quand je fais l’amour… Oui quand je faisais l’amour à l’oiseau blanc et ensuite à Jmlépoil, il me venait des phrases. Imagine, un mec qui parle pendant qu’il te retourne, ou lorsqu’il goûte à ce sel qui sourd de tes pores grands ouverts et s’en délecte. Des déclarations d’amour, des lettres d’amour alors ? Et même des blagues. Faut que je te fasse l’amour pour savoir, ta peau, ton poids, ta gorge, ta voix pour mon poème. Est-ce que je sais qui je suis ? Je crois que je suis tu pour toi. Mes amis mes amis j’ai froid. Le monde est vide. Le monde est vide si je ne puis sentir en ce tu la consubstantielle vibration, celle qui m’arrache des larmes, là, maintenant, dans la plainte céleste de Rolando Villazon, celle qui me ferait danser, danser, qui me serait un nectar subtil et grisant, un étonnement quotidien et jamais une habitude. Aller, je ne suis pas assez stupide pour croire au grand amour, pas deux fois, hein. Je sanglote, pourtant. Cela n’a aucun sens. Ce n’est qu’un retour de cuite, je suis tout triste et je pleure, ah que ne suis-je la joie d’un autre ! Alors j’écris, je veux dire que j’ai du boulot, un peu. Je ne vais pas courir au parc de la tête d’or, pas encore, cela ne saurait tarder. Un soir j’ai fini tard avec Jane et les copains, je suis rentré en chantant des chansons qui n’existaient pas, avec des histoires d’oiseau blanc qui se posaient sur moi. Mes amis mes amis, vivez, aimez, au moins puis-je ainsi m’émerveiller, quelques fois, de notre pauvre absurdité.

samedi 5 avril 2008

Sales Draps

Faudrait trouver un peu de boulot, les sujets ne tombent pas tout cuits. Un pigiste doit se creuser un peu pour proposer des papiers intéressants, s’il veut gagner sa croûte quoi. Je ne lis même pas les journaux qu’est-ce que j’en ai à foutre. Mon linge traîne par terre, avec les draps maculés de sang que je n’ai pas changés : je les ai retirés, si bien que j’ai dormi à même le matelas ces deux ou trois dernières nuits. Mon bureau ploierait presque sous le bordel de papiers, de vaisselle, de crèmes dermatologiques, et puis d’autres trucs aussi, que je laisse reposer. On verra bien si un jour ce tas d’objets disparates, ce fumier urbain, produit un peu d’énergie, un terreau pour mon poème. Les rideaux de ma chambre sont jaunâtres, pas de quoi se vanter je crois que c’était d’origine, mais tout de même ça complète le tableau. Je vis dans cette boue qui est la représentation de ce qui traîne dans ma caboche. Désagréable, j’ai l’impression que ça danse en moi, j’ai peur d’en avoir le buste mobile, comme un psychotique de base et ma blessure à la tête, quelques jours après l’épisode un peu nul du LAX, me lance encore. Je sais très bien que je dois réagir, je me le répète, je dois réagir, je dois réagir, ranger, laver par terre, aller courir. Décréter une semaine sans alcool, bouffer des journaux, ne plus zapper, dans ma boîte mél, les infos boulots. Contacter le chef avec une idée en or, un gros papier qui pourrait m’occuper une semaine ce serait cool, enfin cool, salutaire au moins. Ne pas réfléchir. Enfiler un short, des baskets, tant pis si j’ai l’air d’un clochard au parc de la Tête d’or, impulsion, je vais courir et en rentrant, j’achète un journal, puis douche, puis ménage, pas compliquée la vie oh.

mercredi 2 avril 2008

Pansement

Le lendemain je me réveille tard, dans l’après-midi. Je n’ai pas trop mal à la tête, enfin ça bourdonne mais bon. J’aspire de grandes goulées d’air froid, mes côtes sont douloureuses, mon corps entier est douloureux sous la couette. Mission accomplie, je suis rentré chez moi. Qu’est-ce que j’ai à faire aujourd’hui ? Je ne sais plus. Il fait trop frisquet dans ma chambre, pas envie de mettre pied à terre.

« Ouam, me demandait hier un enfant blond, pourquoi es-tu toujours triste ? »

Je passe juste la main pour allumer la radio et oh mes doigts sont maculés de sang, qu’est-ce que j’ai encore fait. Du sang, pas beaucoup, mais tiède. Je m’examine. Les poings à peine écorchés, comme après une bonne cuite, quand tu ne sais plus marcher droit et que tu te rattrapes aux murs. Le coude râpé s’encroûte déjà, je dois avoir une plaie un peu plus ouverte quelque part. Les draps doivent être tachés et le matelas, non, je ne peux pas me permettre de le pourrir il est neuf. Donc il faut que je bouge. Je suis allongé sur le dos, j’accélère ma respiration en prévision de l’agression du froid et d’un geste brusque, auguste, je me découvre, presque nu, frissonnant, effaré.

« Ouam pourquoi es-tu toujours triste ? »

Mon boxer short blanc diminue de volume à vue d’œil, mais surtout il n’est plus très blanc. Les traces de sang convergent. Les cuisses, l’intérieur des cuisses, le ventre sont maculés. Comme si je m’étais acharné, alors je m’affole en me touchant partout pour trouver ma blessure, je me tâte, mate mon sexe et mes bourses et ne repère pas de plaie visible, rien. Je me lève d’un bond et me précipite sous la douche, en n’omettant pas, au passage, de remettre les radiateurs électriques en fonction. L’eau chaude me rassérène. A la réflexion, je crois que tout ce sang cruenté dont je me débarrasse, j’ai dû me l’étaler pendant la nuit, peut-être que je me suis caressé en dormant ? Je me regarde dans le reflet du miroir et c’est là que je m’aperçois de l’entaille sanguinolente sur mon crâne. Je me suis sans doute cassé la gueule quelque part entre le LAX et l’appartement.

« Ouam, pourquoi es-tu toujours triste ? »

Un peu d'alcool, un pansement pour ma tête.

lundi 31 mars 2008

Pipi

Mal à l’épaule, ça me rappelle… J’ai pris un coup, un mec dans le bar, quand j’allais mettre les bouts. Il était comme en colère en allant… Chercher sa veste. En colère contre moi. Il a fait un petit détour et de sa belle carrure a voulu s’imposer. Il m’a intimidé, sur le champ j’ai désiré qu’il me serre dans ses bras blancs. Il m’a devancé dehors. Je ne suis pas sûr. Je suis dehors, je le cherche du regard et je ne vois rien. Je titube et le brouillard où je me perds n’est pas d’éther, il est de plomb. Oui un brouillard métallique, un rideau qui se ferme devant moi, tellement opaque que j’en éprouve de la difficulté à voir le bout de mes chaussures. Noires, je crois qu’elles sont noires, elles pataugent dans la fange flavescente de la rue.

« Eho »

C’est moi qui appelle. Ma voix s’étiole. Le cœur à tout rompre avec ce fol espoir.

« Eho »

Suis-je condamné à ce que jamais un bras solide, une épaule bien faite, un sourire d’ange, ne cherchent, en silence, à retenir ma chute ? Je me sens diminuer à force. Viendras-tu enfin. Je souffle en m’appuyant au mur. J’espère ta silhouette, tu es tout de noir vêtu, tu te démarques de l’ombre, tu la découpes. Tu es de l’ombre, je devine ta démarche souple, elle m’inspire confiance. C’est cette chimère que je cherche à suivre. Je ne vois rien ni personne dans la rue. Je me perds. Faut avancer. Remonter la Croix Rousse. Je me bats. Je rends les coups. C’est avant le Villemanzy je pense, un restaurant à fleur de colline, que je vois percer les lumières de la ville et puis toute cette masse de ténèbres qui la couvre. Je monte sur le muret avec des envies de crier des je t’aime sans savoir à qui les adresser. Je ne fais pas trop le couillon, la pente est rude à cet endroit, si je trébuche… Je sors mon sgeg tout penaud, je pisse le plus haut possible, j’observe le liquide prendre les couleurs de l’abîme où il plonge. Je fais quelques pas avec le futal sur les chevilles, parce que c'est rigolo. Puis je reprends mon chemin.

mercredi 26 mars 2008

Ombre

Putaiiiiiin. Je ne sais même plus l’heure qu’il est mais putaiiiiiin, qui c’est ce mec. Il y a un type qui me mate depuis tout à l’heure et je fais semblant de rien. Je bois. Je pense. Je me pose des questions. Eh oui pourquoi. Il y en a plein des pourquoi. Pourquoi l’O.L. ne gagne pas la coupe d’Europe. Pourquoi je ne suis pas le mec préféré d’un autre mec. Pourquoi je ne suis pas blindé de thunes. Les riches ont beau être laids, ils se tapent qui ils veulent, ça sert à quoi l'argent. Tiens, le petit gars qui vient d'entrer et qui est si mignon, je pourrais le faire rêver avec des promesses de voyage au bout du monde, et t’as pas vu la déco de mon appartement, tu crois peut-être que c’est l’autre grosse de M6 qui l’a faite eh pignouf. Et ce type au fond, je n’arrive pas à savoir qui il est, il me regarde encore. Tout à l’heure je vais aller lui demander. Chemise blanche, bottines, je n’aperçois que son œil. Mais c’est un œil que j’ai déjà vu. Tu m’aimes ? Pffff. Arrête. Qui pourrait comme ça d’un coup tomber raide amoureux de moi ? Quand même pas compliqué. Pas dur. On va pas me dire. Moi je suis amoureux de vous tous, là. De toi aussi, l’ombre. Putaiiiiin, et si c’était la noiraude qui r’mettait ça ? C’est elle, mais bien sûr, Noire Sigisbée toute timide dans son coin ! Elle va bien m’offrir un verre ? Ah ouais tu crois que je ne me doute pas qui tu es ? On se connaît en vrai, hein. Alors. Tu voudrais sucer mon encre, tu voudrais que je partage. Non, non et non. Commence déjà par me sucer la bite. Voilà que je décolle du comptoir et m’approche de ton antre et… Mais ou est-elle maintenant, l’ombre ? La Sigisbée a disparu. L’insaisissable. Faut que je note sur un papier que je sais qui c’est, que je l’écrive dans mon « roman privé ». Ah tu me lis ? Ah tu me suis ? Ben moi je sais qui t’es et je le révèlerai à la face du monde ! Oh. Attends, attends. Je suis pas super bien. Ok, je me casse. J’ai intérêt. Je paye et je rentre.

mardi 25 mars 2008

Pute

Je marche et c’est un bon début. Pour mon poème. Je ne suis pas loin de trouver la cadence, mais le désir me fuit. Si j’avais les couilles, ou l’argent, ou l’envie, je me paierais une pute. Je pourrais me détester pour de bonnes raisons. Je saurais écrire sur les putes. Dans ce quartier comme un îlot triste entre la place Tolozan et le tunnel de la Croix Rousse confiné, poussé par la colline sur les bords du Rhône, ghetto par vocation, je me souviens avoir rencontré des filles de Cabiria, l’association. Je ne sais pas si c’étaient d’anciennes putes, mais c’étaient de sacrées gonzesses. Pas baisables pour un sou. Sûres, déterminées, douces, elles étaient aimables. Et si j’étais une bonne suceuse, faut aimer, est-ce que moi aussi je trouverais des papas honteux à extorquer ? Des bites, plein, et des œufs avec la chair de poule, des vaches de foutre à déverser dans un lit, le fleuve que j’aperçois maintenant, une pluie laiteuse ininterrompue sur mon visage, des odeurs aussi, des humeurs, de la mouille qui te coule dans le gosier tel un nectar d’eau claire. Je marche et c’est un bon début. De justesse une automobile me laisse passer, je veux boire, me rassasier, le risque est pris. Marche arrière. Ce bar de tapettes avec des salopes sexy, des mômes en goguette, un trav’ mal fagoté, m’enveloppe de son air bleu et ses rubans de deuil. Un gros mec accoudé au zinc me fout la gerbe, je contourne, m’éloigne et ce faisant, trouve un point de vue plus global. J’embrasse. Je vous aime tous. Je veux vous serrer un à un dans mes bras, vous serrer fort. Une bière au LAX et, oui, le garçon qui me sert est délicieux.

dimanche 23 mars 2008

Stationnement

Rude caresse. Les murs. Les mains dans les poches, l’épaule blanchie par la poudre de stuc, montée Saint Sébastien, je stoppe. Jane, je pense appeler Jane. Elle couche ses gosses, elle me rappelle. Un vieil Arabe assis au seuil de sa boutique me voyant suffoquer se détourne. Je me noie. Les mains dans les poches. La lumière coule à flots depuis les soleils froids de l’éclairage municipal. Je me sens d’autant moins à l’aise que l’endroit, à cette heure, est fréquenté, un groupe de femmes hilare débouche et je reconnais l’épicier de la rue Imbert Colomès qui descend. Des mecs en costard rentrent chez eux, j'espère au moins que c'est pour aller se faire foutre. Quelques automobiles beuglent en embrayant sur la montée. Une petite fille noire traverse sans regarder, j’ai un réflexe tardif, un élan vers elle, est-ce que je dois gronder ? Sa mère ne réagit pas, traverse à son tour, poussette jetée en avant. Un petit garçon aux cheveux jaunes me prend la main. Je le regarde, surpris.
« Ouam, pourquoi es-tu toujours triste ? »
Je flotte, divague, l’enfant a disparu et je suis encore là, pas tout à fait immobile, j’attends quelqu’un. Depuis le temps que je les fixe, le bitume et les bordures de pierre ne me paraissent pas vraisemblables. Des beaux garçons, l’un d’eux soutient mon regard. Est-ce lui que j’attends ? Il s’enfuit. A pas de loup sur la surface. Je n’ai pas la force de refaire mon lacet. Il avait un si beau visage, bienveillant, je voudrais le lacérer, l’abîmer, le déchirer avec les dents. Je n’aime pas mes chaussures noires, elles me rappellent ma misère, un premier prix dans une grande surface. La hampe du panneau interdit de stationner me glace, je m’en éloigne. Des nausées, ma tendresse. Ce qu’elle m’inspire. Lacérer ce visage, puisqu’il n’est pas obnubilé par le mien. Des nausées. L’oiseau blanc. Un texto, sans réponse. J’attends. Jane a dû oublier de rappeler, je sais bien qu’elle est occupée. Je fourre mes mains dans les poches de mon manteau. Je réagis. Je pense à mon poème, au pillow book et je me mets en marche. Je plonge en direction du quartier de la rue Royale, plus de pédés, moins de lumière.

vendredi 21 mars 2008

Un ange

Comme celui qui s’habille en hâte, vérifie qu’il a toujours ses clefs, poche droite du pantalon, de son unique pantalon, durci par la crasse, et dans son portefeuilles compte ses sous. Comme celui qui se soulève, porté par la nécessité d’enfiler un manteau, de lacer ses chaussures, vite. Comme celui qui n’a plus assez de clopes pour terminer sa soirée et qu’il est – déjà – 19 h 32. Comme celui-là et pas davantage, je me tire de mon trou à rat. Je fignole un travail, je me réchauffe les doigts à mon petit grille-pain, le radiateur portatif, en gros le plus efficace. L’instant suivant je claque la porte, l’espèce de patchwork bricolé qui me sert de porte d’entrée et je débaroule l’escalier. L'évènement c'est que j’y croise un ange qui m’oblige à ralentir. Il me sourit. Ce jeune homme, je l’ai connu enfant, je me disais à l’époque dis donc il va être beau et… je ne me suis pas trompé. Ce sourire m’enchante et cependant, alors qu’il semble s’incruster en moi, me marquer comme un bleu, le choc, ce petit rappel de désir, ébranle ce que j’avais de mystérieuse détermination. Je continue mon chemin, je me trouve au milieu de la rue, l’air froid m’environne et je ne sais pas pourquoi.

Je sais en revanche que je ne vais pas remonter chez moi maintenant. Qu’irais-je donc faire dans cet appartement qui pue la fumée froide, ou plutôt la poutre calcinée. Surtout par grand vent, ça remue toute la suie de l’appartement du dessous, il y a du vent en ce moment à Lyon. Je ne baisse pas de rythme, je mets les bouts, je n’ai rien à faire dans le coin. En apparence j’ai le choix : soit je monte sur le plateau, soit je descends, mais en faits je refuse de me poser la question parce que je ne veux pas me créer de problème insoluble. Rue Pouteau, je l’aime bien cette rue en escaliers qui ouvre une plaie sur la ville, je dévale, j’avale, la nuit semble comme hésiter avec un jour de pluie, tandis qu’au coin de la rue René Leynaud et de la rue Coysevox, elle accentue soudain sa pression. J’ai toujours aimé la nuit et voilà que j’éprouve le besoin de m’en protéger. Comme par un réflexe de survie je voudrais entrer au LAX, dont le serveur est plus qu’à mon goût et je sais que le désir m’est un refuge agréable. Une pudeur idiote m’en empêche et du coup je me précipite montée Saint Sébastien, très éclairée. Je commence à raser les murs, c’est mauvais signe. Putain c’est mauvais signe.

vendredi 14 mars 2008

The pillow book (4)

Je me sens tellement crétin. Désarmé. Je te vois délirer, oui, délirer. Tu marmonnes tes vérités, tu m’insultes, ce que tu peux être romantique. Pourtant tu ne réussis pas à me toucher, rien. Abasourdi, je me demande si tu ne vas pas me sortir du SAC A MERDE ou du SALE PUTE, peut-être que je te rosserais, mais non tu n’en es pas là. Tu ne te sens pas encore assez seul. Tes fulgurances ne sont parfois que des enfantillages, il faut juste attendre qu’elles passent en guettant les pépites, car il y en a, qui me sont, chacune, un mystérieux plaisir. J’ignore tout de l’espérance qui était peut-être la tienne avant notre rencontre. La mienne, prosaïque, avait rapport à ma petite protubérance caverneuse, au buste barbouillé de ton blog. A mon poème, à ce que ta folie, ta beauté, pouvait lui inspirer. Surtout je me voulais aux abois parce que j’avais l’espoir, à ton contact, de me rappeler la fougue, la colère, j'avais tant à apprendre de toi ! Est-ce mon petit cœur de tafiole, est-ce toi, je vois en tes gestes saccadés, maladroits, tant d’impuissance, tant d’impuissance, qu’ils m’émeuvent. Néanmoins je suis déçu. Ta danse, nos jeux, ne sont que gesticulations. Rien de grave. Je constate que notre rencontre n’a pas bouleversé le monde. Nos existences sont absurdes et basta.
Nous écrivons pour les mêmes raisons que nous baisons. Nous cherchons à nous limiter tout autant qu’à nous répandre. Telles sont les fonctions d’une machine désirante je crois : se situer, conquérir. L’un, puis l’autre, l’un puis l’autre. Comme une respiration. A cet instant, le môme ne m’allume aucun désir. Cependant je n’arrive pas à croire en mon indifférence, est-ce que je me méfie de lui ? Est-ce son talent qui m’indispose, ou sa beauté ? Et puis enfin, car il faut bien que je l’évoque, sa ressemblance avec mon Dorian, mon amour de jeunesse, eh oui, je tourne autour du pot mais ces ressemblances, aussi bien physiques que mentales : sa voix, son aisance apparente, son passé militant lycéen… me serrent la gorge. Je n’ai plus envie de flirter avec cette passion ancienne, mes anticorps s’agitent.
Le jeune homme anticipe l’instant de notre séparation. Il va au bar, sort sa CB, paie la note. 73,30, bon score.
Je n’oublie pas que je veux écrire sur sa peau. Je crois pouvoir lui donner quelques conseils d’écriture, je lui dis juste ça. Son visage s’illumine :
« D’accord, je serais ton Ephèbe ! Mais sache qu’un jour, l’élève dépassera le maître ! »
Ah ! Ah ! Ah ! Je devrais partir dans un grand éclat de rire, à cet instant. Au lieu de cela, j’accepte son baiser et sa joue râpeuse sur ma paume me paraît si douce.
« Mais… c’est peut-être déjà fait. »
Murmuré-je.

mardi 11 mars 2008

The pillow book (3)

« Tu as des poils, n’est-ce pas ? »

Il passe sa main sous ma chemise en ronronnant. Mais alors il baisse la tête. Il prend ses distances, je ne sais ce qu’il fuit avec ce petit air buté. Les deux pieds dans le caniveau il me fait face. Il me fait l’effet d’une bête traquée qui se cherche non une retraite : une riposte. L’alcool a obscurci son regard qui maintenant ne se lève vers moi que pour lancer son défi. De la haine, tu as de la haine ? Il tire sur son clope roulé sans trouver le calme qu’il voudrait. La lune – ou bien est-ce l’éclairage public ? – comme un peu d’eau perle aux yeux du jeune pêcheur. Perdu dans ses ténèbres, pris dans ses propres rets, il semble se noyer. Je suis là, je le vois, je cherche une musique pour sa danse nerveuse, maladive. Une guitare sans merci, un air lyrique ?

« Tu sais ce que je raconte sur mon blog, c’est vrai, j’ai tué des chats, je les tue vraiment »

Il me dit ça, moi qui pleurais sous mes lunettes de soleil, une nuit de juin dernier. Cette fois, plutôt que de cajoler ma Mazurka, c’est lui que je suis prêt à prendre dans mes bras. Je lui caresse la joue. Il m’en veut, je ne sais pas très bien pourquoi, il m’en veut.

« Mais peu importe que ce soit la réalité. Ce qui m’intéresse, c’est que tu l’aies écrit. »

Tu ne réponds pas tout de suite, je te vois interloqué. Tu m’en veux. Et tu griffes.

« Tu me mens, tout ce que tu écris est mensonge »

Oui, le môme, je mens. C’est moi qui raconte, alors j’écris ce que je veux. Tu es dans un roman, tu es un personnage de mon roman. Peut-être écrirais-je mon livre sur ta peau. C’est cela que je pense en te couvant. Tu réclames :

« La vie est une scène, danse, vas-y montre-moi comment tu danses ! »

Mais je ne suis ici que pour te regarder. Tu esquisses un pas. Tu voudrais que je danse ?

« Tu n’es pas vrai, tu n’es rien »

Spectateur, je ne suis rien, en effet, dans cette rue étroite et glaciale où nous sommes seuls. Que l’unique témoin de ton existence.