lundi 31 mars 2008

Pipi

Mal à l’épaule, ça me rappelle… J’ai pris un coup, un mec dans le bar, quand j’allais mettre les bouts. Il était comme en colère en allant… Chercher sa veste. En colère contre moi. Il a fait un petit détour et de sa belle carrure a voulu s’imposer. Il m’a intimidé, sur le champ j’ai désiré qu’il me serre dans ses bras blancs. Il m’a devancé dehors. Je ne suis pas sûr. Je suis dehors, je le cherche du regard et je ne vois rien. Je titube et le brouillard où je me perds n’est pas d’éther, il est de plomb. Oui un brouillard métallique, un rideau qui se ferme devant moi, tellement opaque que j’en éprouve de la difficulté à voir le bout de mes chaussures. Noires, je crois qu’elles sont noires, elles pataugent dans la fange flavescente de la rue.

« Eho »

C’est moi qui appelle. Ma voix s’étiole. Le cœur à tout rompre avec ce fol espoir.

« Eho »

Suis-je condamné à ce que jamais un bras solide, une épaule bien faite, un sourire d’ange, ne cherchent, en silence, à retenir ma chute ? Je me sens diminuer à force. Viendras-tu enfin. Je souffle en m’appuyant au mur. J’espère ta silhouette, tu es tout de noir vêtu, tu te démarques de l’ombre, tu la découpes. Tu es de l’ombre, je devine ta démarche souple, elle m’inspire confiance. C’est cette chimère que je cherche à suivre. Je ne vois rien ni personne dans la rue. Je me perds. Faut avancer. Remonter la Croix Rousse. Je me bats. Je rends les coups. C’est avant le Villemanzy je pense, un restaurant à fleur de colline, que je vois percer les lumières de la ville et puis toute cette masse de ténèbres qui la couvre. Je monte sur le muret avec des envies de crier des je t’aime sans savoir à qui les adresser. Je ne fais pas trop le couillon, la pente est rude à cet endroit, si je trébuche… Je sors mon sgeg tout penaud, je pisse le plus haut possible, j’observe le liquide prendre les couleurs de l’abîme où il plonge. Je fais quelques pas avec le futal sur les chevilles, parce que c'est rigolo. Puis je reprends mon chemin.

mercredi 26 mars 2008

Ombre

Putaiiiiiin. Je ne sais même plus l’heure qu’il est mais putaiiiiiin, qui c’est ce mec. Il y a un type qui me mate depuis tout à l’heure et je fais semblant de rien. Je bois. Je pense. Je me pose des questions. Eh oui pourquoi. Il y en a plein des pourquoi. Pourquoi l’O.L. ne gagne pas la coupe d’Europe. Pourquoi je ne suis pas le mec préféré d’un autre mec. Pourquoi je ne suis pas blindé de thunes. Les riches ont beau être laids, ils se tapent qui ils veulent, ça sert à quoi l'argent. Tiens, le petit gars qui vient d'entrer et qui est si mignon, je pourrais le faire rêver avec des promesses de voyage au bout du monde, et t’as pas vu la déco de mon appartement, tu crois peut-être que c’est l’autre grosse de M6 qui l’a faite eh pignouf. Et ce type au fond, je n’arrive pas à savoir qui il est, il me regarde encore. Tout à l’heure je vais aller lui demander. Chemise blanche, bottines, je n’aperçois que son œil. Mais c’est un œil que j’ai déjà vu. Tu m’aimes ? Pffff. Arrête. Qui pourrait comme ça d’un coup tomber raide amoureux de moi ? Quand même pas compliqué. Pas dur. On va pas me dire. Moi je suis amoureux de vous tous, là. De toi aussi, l’ombre. Putaiiiiin, et si c’était la noiraude qui r’mettait ça ? C’est elle, mais bien sûr, Noire Sigisbée toute timide dans son coin ! Elle va bien m’offrir un verre ? Ah ouais tu crois que je ne me doute pas qui tu es ? On se connaît en vrai, hein. Alors. Tu voudrais sucer mon encre, tu voudrais que je partage. Non, non et non. Commence déjà par me sucer la bite. Voilà que je décolle du comptoir et m’approche de ton antre et… Mais ou est-elle maintenant, l’ombre ? La Sigisbée a disparu. L’insaisissable. Faut que je note sur un papier que je sais qui c’est, que je l’écrive dans mon « roman privé ». Ah tu me lis ? Ah tu me suis ? Ben moi je sais qui t’es et je le révèlerai à la face du monde ! Oh. Attends, attends. Je suis pas super bien. Ok, je me casse. J’ai intérêt. Je paye et je rentre.

mardi 25 mars 2008

Pute

Je marche et c’est un bon début. Pour mon poème. Je ne suis pas loin de trouver la cadence, mais le désir me fuit. Si j’avais les couilles, ou l’argent, ou l’envie, je me paierais une pute. Je pourrais me détester pour de bonnes raisons. Je saurais écrire sur les putes. Dans ce quartier comme un îlot triste entre la place Tolozan et le tunnel de la Croix Rousse confiné, poussé par la colline sur les bords du Rhône, ghetto par vocation, je me souviens avoir rencontré des filles de Cabiria, l’association. Je ne sais pas si c’étaient d’anciennes putes, mais c’étaient de sacrées gonzesses. Pas baisables pour un sou. Sûres, déterminées, douces, elles étaient aimables. Et si j’étais une bonne suceuse, faut aimer, est-ce que moi aussi je trouverais des papas honteux à extorquer ? Des bites, plein, et des œufs avec la chair de poule, des vaches de foutre à déverser dans un lit, le fleuve que j’aperçois maintenant, une pluie laiteuse ininterrompue sur mon visage, des odeurs aussi, des humeurs, de la mouille qui te coule dans le gosier tel un nectar d’eau claire. Je marche et c’est un bon début. De justesse une automobile me laisse passer, je veux boire, me rassasier, le risque est pris. Marche arrière. Ce bar de tapettes avec des salopes sexy, des mômes en goguette, un trav’ mal fagoté, m’enveloppe de son air bleu et ses rubans de deuil. Un gros mec accoudé au zinc me fout la gerbe, je contourne, m’éloigne et ce faisant, trouve un point de vue plus global. J’embrasse. Je vous aime tous. Je veux vous serrer un à un dans mes bras, vous serrer fort. Une bière au LAX et, oui, le garçon qui me sert est délicieux.

dimanche 23 mars 2008

Stationnement

Rude caresse. Les murs. Les mains dans les poches, l’épaule blanchie par la poudre de stuc, montée Saint Sébastien, je stoppe. Jane, je pense appeler Jane. Elle couche ses gosses, elle me rappelle. Un vieil Arabe assis au seuil de sa boutique me voyant suffoquer se détourne. Je me noie. Les mains dans les poches. La lumière coule à flots depuis les soleils froids de l’éclairage municipal. Je me sens d’autant moins à l’aise que l’endroit, à cette heure, est fréquenté, un groupe de femmes hilare débouche et je reconnais l’épicier de la rue Imbert Colomès qui descend. Des mecs en costard rentrent chez eux, j'espère au moins que c'est pour aller se faire foutre. Quelques automobiles beuglent en embrayant sur la montée. Une petite fille noire traverse sans regarder, j’ai un réflexe tardif, un élan vers elle, est-ce que je dois gronder ? Sa mère ne réagit pas, traverse à son tour, poussette jetée en avant. Un petit garçon aux cheveux jaunes me prend la main. Je le regarde, surpris.
« Ouam, pourquoi es-tu toujours triste ? »
Je flotte, divague, l’enfant a disparu et je suis encore là, pas tout à fait immobile, j’attends quelqu’un. Depuis le temps que je les fixe, le bitume et les bordures de pierre ne me paraissent pas vraisemblables. Des beaux garçons, l’un d’eux soutient mon regard. Est-ce lui que j’attends ? Il s’enfuit. A pas de loup sur la surface. Je n’ai pas la force de refaire mon lacet. Il avait un si beau visage, bienveillant, je voudrais le lacérer, l’abîmer, le déchirer avec les dents. Je n’aime pas mes chaussures noires, elles me rappellent ma misère, un premier prix dans une grande surface. La hampe du panneau interdit de stationner me glace, je m’en éloigne. Des nausées, ma tendresse. Ce qu’elle m’inspire. Lacérer ce visage, puisqu’il n’est pas obnubilé par le mien. Des nausées. L’oiseau blanc. Un texto, sans réponse. J’attends. Jane a dû oublier de rappeler, je sais bien qu’elle est occupée. Je fourre mes mains dans les poches de mon manteau. Je réagis. Je pense à mon poème, au pillow book et je me mets en marche. Je plonge en direction du quartier de la rue Royale, plus de pédés, moins de lumière.

vendredi 21 mars 2008

Un ange

Comme celui qui s’habille en hâte, vérifie qu’il a toujours ses clefs, poche droite du pantalon, de son unique pantalon, durci par la crasse, et dans son portefeuilles compte ses sous. Comme celui qui se soulève, porté par la nécessité d’enfiler un manteau, de lacer ses chaussures, vite. Comme celui qui n’a plus assez de clopes pour terminer sa soirée et qu’il est – déjà – 19 h 32. Comme celui-là et pas davantage, je me tire de mon trou à rat. Je fignole un travail, je me réchauffe les doigts à mon petit grille-pain, le radiateur portatif, en gros le plus efficace. L’instant suivant je claque la porte, l’espèce de patchwork bricolé qui me sert de porte d’entrée et je débaroule l’escalier. L'évènement c'est que j’y croise un ange qui m’oblige à ralentir. Il me sourit. Ce jeune homme, je l’ai connu enfant, je me disais à l’époque dis donc il va être beau et… je ne me suis pas trompé. Ce sourire m’enchante et cependant, alors qu’il semble s’incruster en moi, me marquer comme un bleu, le choc, ce petit rappel de désir, ébranle ce que j’avais de mystérieuse détermination. Je continue mon chemin, je me trouve au milieu de la rue, l’air froid m’environne et je ne sais pas pourquoi.

Je sais en revanche que je ne vais pas remonter chez moi maintenant. Qu’irais-je donc faire dans cet appartement qui pue la fumée froide, ou plutôt la poutre calcinée. Surtout par grand vent, ça remue toute la suie de l’appartement du dessous, il y a du vent en ce moment à Lyon. Je ne baisse pas de rythme, je mets les bouts, je n’ai rien à faire dans le coin. En apparence j’ai le choix : soit je monte sur le plateau, soit je descends, mais en faits je refuse de me poser la question parce que je ne veux pas me créer de problème insoluble. Rue Pouteau, je l’aime bien cette rue en escaliers qui ouvre une plaie sur la ville, je dévale, j’avale, la nuit semble comme hésiter avec un jour de pluie, tandis qu’au coin de la rue René Leynaud et de la rue Coysevox, elle accentue soudain sa pression. J’ai toujours aimé la nuit et voilà que j’éprouve le besoin de m’en protéger. Comme par un réflexe de survie je voudrais entrer au LAX, dont le serveur est plus qu’à mon goût et je sais que le désir m’est un refuge agréable. Une pudeur idiote m’en empêche et du coup je me précipite montée Saint Sébastien, très éclairée. Je commence à raser les murs, c’est mauvais signe. Putain c’est mauvais signe.

vendredi 14 mars 2008

The pillow book (4)

Je me sens tellement crétin. Désarmé. Je te vois délirer, oui, délirer. Tu marmonnes tes vérités, tu m’insultes, ce que tu peux être romantique. Pourtant tu ne réussis pas à me toucher, rien. Abasourdi, je me demande si tu ne vas pas me sortir du SAC A MERDE ou du SALE PUTE, peut-être que je te rosserais, mais non tu n’en es pas là. Tu ne te sens pas encore assez seul. Tes fulgurances ne sont parfois que des enfantillages, il faut juste attendre qu’elles passent en guettant les pépites, car il y en a, qui me sont, chacune, un mystérieux plaisir. J’ignore tout de l’espérance qui était peut-être la tienne avant notre rencontre. La mienne, prosaïque, avait rapport à ma petite protubérance caverneuse, au buste barbouillé de ton blog. A mon poème, à ce que ta folie, ta beauté, pouvait lui inspirer. Surtout je me voulais aux abois parce que j’avais l’espoir, à ton contact, de me rappeler la fougue, la colère, j'avais tant à apprendre de toi ! Est-ce mon petit cœur de tafiole, est-ce toi, je vois en tes gestes saccadés, maladroits, tant d’impuissance, tant d’impuissance, qu’ils m’émeuvent. Néanmoins je suis déçu. Ta danse, nos jeux, ne sont que gesticulations. Rien de grave. Je constate que notre rencontre n’a pas bouleversé le monde. Nos existences sont absurdes et basta.
Nous écrivons pour les mêmes raisons que nous baisons. Nous cherchons à nous limiter tout autant qu’à nous répandre. Telles sont les fonctions d’une machine désirante je crois : se situer, conquérir. L’un, puis l’autre, l’un puis l’autre. Comme une respiration. A cet instant, le môme ne m’allume aucun désir. Cependant je n’arrive pas à croire en mon indifférence, est-ce que je me méfie de lui ? Est-ce son talent qui m’indispose, ou sa beauté ? Et puis enfin, car il faut bien que je l’évoque, sa ressemblance avec mon Dorian, mon amour de jeunesse, eh oui, je tourne autour du pot mais ces ressemblances, aussi bien physiques que mentales : sa voix, son aisance apparente, son passé militant lycéen… me serrent la gorge. Je n’ai plus envie de flirter avec cette passion ancienne, mes anticorps s’agitent.
Le jeune homme anticipe l’instant de notre séparation. Il va au bar, sort sa CB, paie la note. 73,30, bon score.
Je n’oublie pas que je veux écrire sur sa peau. Je crois pouvoir lui donner quelques conseils d’écriture, je lui dis juste ça. Son visage s’illumine :
« D’accord, je serais ton Ephèbe ! Mais sache qu’un jour, l’élève dépassera le maître ! »
Ah ! Ah ! Ah ! Je devrais partir dans un grand éclat de rire, à cet instant. Au lieu de cela, j’accepte son baiser et sa joue râpeuse sur ma paume me paraît si douce.
« Mais… c’est peut-être déjà fait. »
Murmuré-je.

mardi 11 mars 2008

The pillow book (3)

« Tu as des poils, n’est-ce pas ? »

Il passe sa main sous ma chemise en ronronnant. Mais alors il baisse la tête. Il prend ses distances, je ne sais ce qu’il fuit avec ce petit air buté. Les deux pieds dans le caniveau il me fait face. Il me fait l’effet d’une bête traquée qui se cherche non une retraite : une riposte. L’alcool a obscurci son regard qui maintenant ne se lève vers moi que pour lancer son défi. De la haine, tu as de la haine ? Il tire sur son clope roulé sans trouver le calme qu’il voudrait. La lune – ou bien est-ce l’éclairage public ? – comme un peu d’eau perle aux yeux du jeune pêcheur. Perdu dans ses ténèbres, pris dans ses propres rets, il semble se noyer. Je suis là, je le vois, je cherche une musique pour sa danse nerveuse, maladive. Une guitare sans merci, un air lyrique ?

« Tu sais ce que je raconte sur mon blog, c’est vrai, j’ai tué des chats, je les tue vraiment »

Il me dit ça, moi qui pleurais sous mes lunettes de soleil, une nuit de juin dernier. Cette fois, plutôt que de cajoler ma Mazurka, c’est lui que je suis prêt à prendre dans mes bras. Je lui caresse la joue. Il m’en veut, je ne sais pas très bien pourquoi, il m’en veut.

« Mais peu importe que ce soit la réalité. Ce qui m’intéresse, c’est que tu l’aies écrit. »

Tu ne réponds pas tout de suite, je te vois interloqué. Tu m’en veux. Et tu griffes.

« Tu me mens, tout ce que tu écris est mensonge »

Oui, le môme, je mens. C’est moi qui raconte, alors j’écris ce que je veux. Tu es dans un roman, tu es un personnage de mon roman. Peut-être écrirais-je mon livre sur ta peau. C’est cela que je pense en te couvant. Tu réclames :

« La vie est une scène, danse, vas-y montre-moi comment tu danses ! »

Mais je ne suis ici que pour te regarder. Tu esquisses un pas. Tu voudrais que je danse ?

« Tu n’es pas vrai, tu n’es rien »

Spectateur, je ne suis rien, en effet, dans cette rue étroite et glaciale où nous sommes seuls. Que l’unique témoin de ton existence.

samedi 8 mars 2008

The pillow book (2)

Il entre, c’est lui, sa jolie tête de gitan, en compagnie d’un gars de son âge. Je le mate, j’hésite à me faire un peu lourdingue en l’abordant, finalement je sirote, j’essaie de me faire une idée. Il s’installe à quelque mètre de moi, au bar. Le temps de frôler la main du patron, il se retourne.

« Ouam, c’est toi ? »

Et son sourire m’atteint.

J’annonce : « La mienne » avec un petit geste au barman. « Deux pintes ? »

Je suis pris d’abord par son espèce de facilité dans la conversation. Il improvise, il est badin mais, ce faisant, il se détourne de son pote. C’est ce qui me gêne le plus et m’empêche, assez vite, de m’intéresser à lui. Certes je suis dans sa ligne de mire, je suis là pour ça, pour qu’il me montre de l’envie, voire du désir. Mais tandis qu’il déblatère sur sa fascination pour les blogs, et pour le mien en particulier, je pense surtout à l’isolement de ce pauvre hère, je sais, c'est idiot, d'autant qu'il n’est pas aussi joli à regarder. J'essaie de me concentrer sur mon interlocuteur.

« Le blog c’est génial, les gens se racontent sans retenue, c’est bien supérieur au roman »

Je ne sais pas si le môme s’est rendu compte que Premier Jet est d’abord un roman, ou alors il s’en fout et il parle pour parler. Pour briller plutôt. J’ai d’ailleurs assez vite l’impression qu’il ne maîtrise pas son discours alors que je l’en crois tout à fait capable. Il n’est pas là pour papoter, à la limite, tant mieux, moi non plus. Il se veut à l’image d’un garçon que j’aurais envie d’enculer, il construit son personnage, bon, mais j’en ai un peu trop conscience et ce superbe garçon, avec sa grosse personnalité, digne de ce qu’il croit percevoir de moi, est en train de me couper l’envie. Je me demande s’il ne faudrait pas que je le voie tout nu, dans mon lit, les genoux sur les épaules et la prostate impatiente ?

« Le blog c’est comme la vie de tous les jours, une lutte des ego »

En effet le jeune blogger se gonfle d’un passé qui, plutôt que de m’impressionner, m’amuse, c'est-à-dire attire ma sympathie. J’apprends qu’il a été porte-parole d’un mouvement lycéen, ça me fout un haut-le-cœur, bien sûr il ne peut pas savoir, je suis en plein revival de mes 20 ans. Il me vient pour lui, pour ce garçon, une tendresse coupable, née, donc, d'un reste de nostalgie. Pour l’instant il travaille pour une municipalité à la périphérie de Lyon, la même qui récupérait les porte-parole déchus des coordinations lycéennes quinze ans auparavant. Il y a des jeunes gens qui se brûlent au contact des hautes sphères (du pouvoir), vivent en temps de grève des aventures, des effervescences qui, en comparaison, rendent impossible le retour à la médiocrité. Le garçon que j’ai en face de moi est à mon sens beaucoup plus prometteur que je l’étais, plus libre. Pas amoureux. Mais mon passé m’emmerde et il me le renvoie à la figure. A la deuxième ou troisième pinte, la boisson commence à le désaxer, des copains à lui s’amènent avec des filles, il est souriant et toutefois je sens que quelque chose lui déplait. Les jeunettes n’en ont que pour lui, pour sa belle gueule, son bagout et son sens de l’humour :

« Eeeh tes potes m’ont dit, c’est toi le bogosse qui voulait se faire un mec ce soir ? »

Evidemment la donzelle se retrouve un peu connasse lorsqu’elle voit converger les regards vers moi. Je me retiens de recracher ma bière sur toute cette triomphante jeunesse, je bredouille un genre d’excuse en pouffant, ce n’est pas possible, je sors du Lycée, bientôt une chieuse va me demander si j’ai compris les maths et moi je vais répondre euh montre t’en es où j’ai fait craquer les deux dernières semaines. Le môme est un peu outré, il méprise la question et la fille avec ostentation, change de sujet. Ça me surprend de sa part et je ne suis pas loin de me laisser aller à mon rire. Je l’accompagne dehors, il lui faut fumer son clope.

jeudi 6 mars 2008

The pillow book (1)

J’ai dans les reins de cinglantes impatiences avant de me rendre à ce rendez-vous. Le jeune blogger qui m’avait, par sa plume, tellement impressionné, jusqu’à me réveiller une colère qui ne s’apaisa, ensuite, que sous les coups de langue avides de jmlepoil, doit me retrouver dans un cani où il a ses habitudes. Rien à faire, plus l’heure de notre rencontre approche, plus j’éprouve comme une réserve. J’ai quinze ans de plus que lui, je suis assez bien placé pour savoir qu’à 20 ans, comment dire sans froisser… bon, ben on n’a que 20 ans et souvent à cet âge on croit à plein de clichés, on s’en contente un peu trop, on voudrait jouir de son reflet d’enfant maudit du rock n’roll en crachant sur les vitrines des commerçants bourgeois capitalistes, en pissant sur les clochards ou les distributeurs de billets de banque, on se complait dans l’incorrection parce qu’on n’a aucune idée de ce que c’est que la vraie subversion, on se marginalise en groupe, on se réfugie dans les postures qui nous séduisent, et cela me fait penser… peut-être que c’est bandant un journaliste « cultureux de la Croix-Rousse » ? En outre j’ai lu et relu son blog et je me rends compte que je me suis un tantinet emballé. Du talent, de la fougue, du culot, oui, du génie, peut-être pas. Je sais pour l’expérimenter souvent combien il est possible d’écrire ici ou là de belles pages, pertinentes et stylées – ou à peu près. Bien entendu, cela peut demander parfois beaucoup d’application, une chasse impitoyable aux lieux communs, aux contresens ou aux métaphores trop clinquantes et les mots peuvent aussi s’imposer, s’agencer soudain par la grâce de je ne sais quelle inspiration interne. Mais écrire un roman, par exemple, avec cette cohérence propre aux longs récits, voilà qui devient plus compliqué. Je ne suis pas sur la trace de Jean Genet, il ne faut pas s’énerver.

Je dois à la vérité d’ajouter que le môme n’est plus tout à fait un enfant et c’est d'ailleurs la raison qui me pousse aujourd’hui à accepter de le voir. Les photos de lui, accrochées sur son site, montrent un jeune homme racé, à la chevelure lyrique et dont les traits me semblent doux. Et il y a cette icône, son buste, étêté, photographié jusqu’au pubis lors d’une soirée (très) alcoolisée. J’allais écrire qu’il est nu, ce qui aurait peut-être suffit à éveiller mon intérêt, mais surtout il est barbouillé de cent mots, tracés sur sa peau, au marqueur, par ses amis. Depuis que j’ai vu cette image, je fantasme un poème, dont je n’arrive même pas à former le premier mot, un long poème lentement écrit sur sa chair et l’idée me fait triquer comme jamais. Peu à peu, cependant, assis à l'attendre en sirotant une pinte de Carlsberg super froide, je ne sais pas pourquoi, j'ai l'intérieur qui se remet en place et mon cervelet, qui virait tout à l'heure à la simple évocation de notre rendez-vous, pour l'instant, me laisse tranquille.

lundi 3 mars 2008

Minidou

Tu sais ce dont je rêve ? De ton corps étendu sur mon nouveau matelas, tiens, j’achèterai des draps neufs et je les parfumerai au minidou. Je rangerai ma chambre auparavant juste pour qu’elle soit un peu moins mienne, on y aura jeté sur le sol nos vêtements et la couette s’y lovera au pied du nid. Confiant, tu seras confiant, heureux de mon insatiable désir et même, tu souriras. Tu sauras mon regard incapable de se poser, sur tes fesses ou sur ton dos ou sur ta nuque ou sur ton bras… Tu en auras le sentiment de régner. Tu en auras l’impression aussi de me devoir la vie et tu me la donneras, non comme en gage ou en sacrifice, mais pour en jouir et jusqu’à la démence.
Je rêve.
Ton corps tout entier gémissant pèse enfin sur le mien, ce matin-là, c’est une main puissante cherchant à me contenir tout entier, et tu me contiens, tu me circonscris, tu me montres ma frontière et tu la violes, ça me rassure, me provoque, m’inspire, j’ai le droit aux caresses, à la chair, j’ai le droit ? Ta langue, tes lèvres provoquent en moi des hurlements, des stridences orgasmiques, des magmas sifflants comme des oiseaux libres dans mon ventre, explosions sans limite, peau tendue, poumons pleins, ou bien vides, comme saignants mais ne souffrant ni des vides ni des trop-pleins, ne souffrant pas, déversant depuis ma blessure tant d’amour, tant d’amour, distillant une réelle présence à soi, comme une évidence universelle, comme une participation fortuite au monde, nous sommes le monde, tellement incapables de ne faire qu’un et pourtant unis, scellés par les caresses, par la bouche et ton sexe, et mon sexe, par vagues, entretiennent l’extatique expression de nos sourires mêlés, nos sexes si semblables qui, chacun, émettent leur appel, leur insondable, leur inexorable exigence bientôt comblée, tu halètes, j’arrête de respirer, ah qu’ils seront longs, généreux et bons nos baisers, mon amour !