jeudi 29 mai 2008

Je suis un écrivain

Je dessine sur les restes lacérés de La Littérature à l’estomac. De longues balafres, au stylo rouge, pour qu’elles aient l’air sanguinolent. Des croix, des courbes qui ont l’aspect juste dentelé des déchirures. Des motifs géométriques. Des plaies. Je pense, je trace une géographie. Je caresse du doigt la coupure inégale, tâtant de la chair en souffrance d’une page gorgée de rouge. Des lignes, des frontières où je patauge, je m’y tiens comme en équilibre. Ne pas tomber dans le trou, ne pas ripper sur le pus, ne pas tomber dedans le corps. Je sais bien que l’objet démantibulé, éparpillé, parcouru de signes noirs, était un livre. Cela me maintient dans un malaise, une frénésie interne, je m’affole et j’en jouis. En détruisant ce livre jaune, en le gribouillant, puis, tiens, si j’en balançais des morceaux à travers la chambre, on dirait une pluie de billets de banque, et si j’en mâchais une feuille, si je l’avalais ? Je me venge de toute cette clique fermée clic-clac à double tour et qui publie toute l’année toute cette merde (mais pas seulement) et qui ne s’aperçoit même pas de mon existence, je la conchie cette clique qu’un Julien Gracq honnissait tant, lui qui semble être devenu, par la grâce de ses adverbes, de son culot et peut-être de sa mort, une référence à l’égale des Proust, Flaubert... Et ce faisant, j’exprime la fleur de mon désir. J’écris.

mardi 27 mai 2008

Je n'ai pas lu Gracq

La déchirure, l’idée de la déchirure me vient au hasard d’une lecture, ou plutôt d’une non-lecture. Au départ, rien ne me gonfle davantage que les lectures obligatoires. Quoi, tu n’as pas lu Ellroy ? Ben non. En fait, si, j’en ai lu un ou deux, en catimini et c’est pas mal. Toi, me dit-on, il faut que tu lises Bukowski. Un de ces quatre, promis, j’achèterai un Bukowski, mais ce sera quand on aura cessé de me gonfler avec. Et puis le pire des conseils que l’on puisse me donner, c’est de lire un auteur qui vient de mourir. Julien Gracq. La littérature à l’estomac. Me restera un mystère. Ce monsieur a méprisé le Goncourt, cela lui donne une valeur à mes yeux. Il pensait en revanche qu’il n’y avait de lecteur digne de lui qu’armé d’un couteau. A l’ancienne, pour découper une à une les pages. Une exigence de l’auteur auprès de son éditeur. Mais moi, un couteau, même un grand, je ne trouve pas que cela soit une grande idée. Je suis bien tranquille, installé sous ma couette, incommodé mais de façon passagère par l’odeur persistante de brûlé que le minidou (vanille je crois) ne combat plus. D’un geste brusque qui se veut pourtant assuré, précis, assumant l’héritage des millions de lecteurs du passé qui ne se sont jamais plaints de ce petit travail manuel préalable, je... déchire le livre. Plusieurs pages. Eventrée La Littérature à l’estomac. Avec d’abord de la désolation, un peu de frustration, c’est forcé, je reste interdit devant le dessin de ces déchirures. Cette vision d’un livre abîmé me provoque un haut-le-cœur. Je reprends mon souffle. Et puis après tout qu’il aille se faire foutre, le Gracq. Donner un couteau à son lecteur, n’est-ce pas courir le risque de l’autodafé ? Je l’avoue, ma rage, ma joie, m’ont alors inspiré un crime et une vengeance et je jure bien d’en avoir eu le cœur prompt.

mercredi 21 mai 2008

Essence

Je me tourne et ça y est, j’ai dormi, puisqu’il fait jour. Un pied, puis l’autre, puis bzzzzz, me voilà devant l’ordinateur, je déambule parmi les blogues. Je me stérilise le gosier avec un café noir, surmonté d’un peu de mousse marronnasse. Je rêve d’un amant, jalouse un beau talent, ailleurs je ris d’un trait subtil ou me désole de tant d’évidentes impérities. L’imprégnation de la toile m’est funeste. Je me perds parmi la foule. Navrantes solitudes en couches successives, collantes, émouvantes en nos châteaux de vent… Les histoires se ressemblent. La mienne est banale. Qu’est-ce que je fais ici ? Je me veux écrivain, je cherche mon lecteur et ma muse. A quoi bon écrire si je n’ai ni l’un ni l’autre. Je me fais parfois l’effet d’être un de ces pauvres hères de la Star Academy. En moins joli à regarder, disons en moins baisable. J’ai été frappé, en écoutant le témoignage de deux ou trois d’entre eux, par l’expression sincère de leur vocation : je suis chanteur depuis toujours, à l’âge de trois ans j’ai dit que je voulais chanter, je répète dans ma chambre sur ma chaîne Hi fi, je suis nul à l’école mais c’est parce que je ne pense qu’à chanter, d’ailleurs j’ai toujours su que je serai une star… Et puis après, le miséreux, tu l’écoutes un instant et tu es atterré. Eh gamin, ai-je envie de lui susurrer, tu seras star par la seule gloire de mon vit et si tu ne viens pas t’y empaler... Suis-je aussi immature, aussi crétin que ces mômes ? Mâtin, je n’en peux plus, si je ne suis pas écrivain, j’existe et je n’ai plus d’essence. Trop chère, peut-être ah ah, l’essence. Ce matin, cherchant à m’immiscer dans le grand concert électronique des logorrhées virtuelles, j’existe et je n’ai plus d’essence.

jeudi 15 mai 2008

Etranger (2)

Pas souvenir d’avoir tant bu pourtant. En pleine nuit je me réveille avec la sensation angoissante de ne pas être seul. J’ai mal à la tête, je suis chez moi, il fait nuit et surtout j’ai trop chaud. Je réfrène à toute force mon instinct idiot qui commande de me lever et de faire le tour de l’appartement. Je calcule que je possède un grand couteau et je me dis qu’il serait plus prudent, la prochaine fois, de le ranger sous mon lit. Imagine quelqu’un qui se saisi de mon couteau, dans la cuisine, après je suis démuni contre lui. S’il m’attaque. Je ne respire plus, je ne bouge pas, histoire de percevoir le souffle retenu de l’ombre qui s’est glissée chez moi. Et je ne l’entends pas. Ce que je peux être couillon, un vrai môme. Je sais bien que je suis seul. C’est même là mon plus grand drame. La tête me brûle, c’est pour ça que mon cœur bat, qu’il s’emballe, c’est pour ma tête, c’est mon circuit de refroidissement qui se met en branle. Comme quand j’ai trop bu, j’ai sans doute un peu trop bu hier soir. Je n’étais pas parti pour une cuite, puis voilà, j’ai croisé l’oiseau en bas des pentes de la Croix Rousse, il se traînait, piétinait ses plumes blanches dans la poussière, cet ange. Marrant ça (hein, Kooz), que le désir, démoniaque instrument de nos rapports au monde puisse ainsi désigner, en un parfait étranger, un autre que nous, au tournant d’une rue, à la terrasse d’un café, celle ou celui qui sera l’ange, la créature divine, le sujet de nos fantasmes et de notre poème. L’oiseau blanc était un peu triste, je crois, ses tendresses m’allaient droit au cœur. J’ai dû boire beaucoup sans m’en rendre compte et cette nuit je me réveille comme d’un cauchemar. L’autre côté de l’oreiller est plus frais, il soulage un instant ma boîte crânienne, ma cervelle, mes organes, décidément, prennent trop de place et sous la chaleur estivale ma peau, mes os ont du mal à me contenir. L’ombre qui me tourmente est mutique et immobile dès que je tends l’oreille. Maintenant je dois retrouver le sommeil. L’ombre qui me terrifie, pauvre fou, c’est la mienne.

vendredi 9 mai 2008

Etranger (1)

Jamais je n’aurais cru un jour écrire une telle ineptie : ah que ça fait du bien de bosser. Voilà, c’est fait. Je sais depuis longtemps que l’action sert à oublier qu’on ne peut rien et l’oubli, en ce moment, c’est juste ce dont j’ai le plus besoin. A trop me regarder le nombril, je louche inévitablement vers ma petite protubérance caverneuse et oui, se mater le zizi n’est pas toujours signe de bonne santé. En plus, si l’on songe à l’image, cela m’oblige à courber l’échine, symbole de ma misère. Je devrais peut-être me le zigouiller, des fois, me le guillotiner en espérant qu’il ne repousse pas tout de suite. Le boulot. J’ai un contact sympathique avec une jeune femme à l’Hôtel de Police qui me donne plein de petits détails croustillants concernant les accidents de la route ou les petites vieilles qui pourrissent dans leur HLM. On rigole bien. Le patron du coup me laisse appeler, il me prête son téléphone et donc je me pointe dans son bureau tous les matins. La rédaction commence à s’habituer à moi, j’ai droit à un sourire de temps en temps et je participe souvent à la conférence de rédaction. Debout, près de la porte, en compagnie des stagiaires et de deux ou trois collègues pigistes, j’ai une vision de toute cette clique de branleurs. Enfin, je dis branleurs, je suis impressionné par deux journalistes assez pugnaces, jamais à court de sujet, dont je crois percevoir la grande culture, capables, l’un et l’autre, d’écrire des phrases correctes. Pas des rigolos quoi, et je dois ajouter qu’ils agacent et qu’ils tranchent au sein de ce ramassis de flèches. On ne soulignera jamais assez la fatuité du journaliste et son absence totale d’idée. Le métier est loin de la littérature, un journaliste peut exercer sans jamais lire un bouquin, il se nourrit de dossiers de presse et de discussions, écrit à minima, style scolaire, en faisant attention à ne surtout pas employer de mots « difficiles ». Celui qui croit, en lisant son journal, qu’on le prend pour un enfant ou pour un crétin, ce qui est souvent la même chose, a bien raison, cela fait même partie de la formation. Moi je me considère de passage, pas concerné. A côté. Cela m’aide beaucoup à continuer, de penser que je ne suis pas l’un d’eux. Ce sentiment rassurant d’être l’étranger me permet de bâcler mes papiers l'esprit tranquille et, donc, de leur ressembler suffisamment pour faire bonne figure. A la limite, on est tous des étrangers, ici. Qu'ils aillent tous se faire voir.

lundi 5 mai 2008

Comme un dimanche

Ma journée. Raconter ma journée. Je ne suis pas dans un super état. Fini une bouteille de Glenfiddish alors que je ne suis pas fan du Glenfiddich. Avec Jane, hier soir, dans sa nouvelle maison. Pendant que ses mômes ronflaient on s’est torché. Puis aujourd’hui je coule. Fatigué toute la journée, infoutu de réagir. Je dors un peu, pas assez. Je ne sors pas, j’ai envie pourtant, j’essaie de trouver une raison valable de sortir. Dimanche. A la limite je pourrais me promener, ce n’est pas une mauvaise justification la promenade mais j’ai peur de rencontrer du monde. Je n’ai rien à dire à personne, en faits, je me sens mal à l’aise à côté des gens, pas tout à fait avec eux et mon cerveau ne répond pas comme je voudrais, oui, c’est ça le problème, il ne répond pas assez vite. Si au moins je trouvais les ressources nécessaires pour m’éclater seul dans mon coin, mais non, je m’ennuie. Par ma fenêtre ouverte j’entends les oiseaux s’égosiller ce matin et c’est tout ce qui est audible. A part une porte qui claque, elle fait trembler l’immeuble un quart de seconde. J’attends, immobile, aux aguets. Je repère deux ou trois autres bruitages signifiants l’activité urbaine, un moteur de bagnole par exemple, ou un transistor lointain. Mon appartement donne sur la cours d’où me parviennent parfois les passables premiers pas d’une trompette, le son vaporeux, gymnopédique, d’un piano parfait ou les grincements enjoués d’une radio périphérique. Délice hors d’âge que cette atmosphère estivale, un dimanche matin. Délice auquel je me prépare, j’en espère un petit témoignage de vie humaine, mais ce n’est pas encore l’été, un coup d’œil me confirme que je suis le seul à ouvrir mes fenêtres en grand. Sont-ce les martinets qui hurlent ainsi de concert ? Le soleil. Je me souviens de ce voisin schizo dont je suis aujourd’hui débarrassé. Il saluait le soleil tous les matins en lui hurlant ses pires insultes : PEDE, ENCULE… Ce qui me rassure, c’est que je n’en suis pas encore à cette extrémité. D’abord j’aime le soleil et en plus je suis presque potable quand je suis bronzé, presque. Après, la journée n’est pas toujours bien facile à vivre, enfin surtout quand je n’ai rien à faire, comme aujourd’hui. Peut-être qu’un jour je me retournerais contre ce SALOPARD qui vient me NARGUER tous les matins. Je suis sûr qu’il ramène sa fraise juste pour me rappeler que je ne suis qu’une BOUSE qui ne sait pas quoi faire de sa pauvre inexistence de BOUSE MOCHE ET MOLLE. Le temps me paraît long et aussi je ne veux surtout pas qu’il me file entre les doigts, du temps, c’est tout mon bien, je n’ai que ça. Soudain c’est le soir, Jane m’appelle, euh ça va. Je dis okay, je viens discuter le bout de gras dans ton jardin sale bourgeoise. Et je n’y vais pas.

vendredi 2 mai 2008

Tu me fuis

Plus doux que moi, tu ne te rends pas compte. Moi qui ne suis capable de rien. Petit retour introspectif. Catharsis écrite ici sans gant. Petit gars crotté sur le bord d’un trottoir humant la vie des autres, j’étais déjà seul et unique. Unique. Je cherchais. Cherchais. Des yeux. Je tâtonnais alentour. Un homme. Je n’ai jamais fait que cela. Chercher un homme. La main amie, le souffle amène, la peau molle et tiède, la chair ferme et délicieuse comme un beefsteak le vendredi. Je portais mon père jusqu’aux gogues, je portais tant de gens. J’étais alors adolescent, je restais vautré devant une télévision couleur ou bien rougissant d’excitation et de honte devant un minitel super pink, je désire les garçons à tel point qu’il faut que je me soulage et, ensuite, je ne les désire plus, est-ce que je suis pédé ? Mon père est mort d’un cancer, il dysfonctionnait de jour en jour, je le veillais toute la journée. Il appelait, j'étais le seul à pouvoir le porter jusqu'aux double vécés. Je peux porter les hommes et les femmes qui aiment à se tenir droits. Pour aller aux chiottes, hein, parce que, au final, marcher. Nous barbotons dans notre propre fange, que laisse-t-on derrière soit, quelle trace ? Les humains n’abandonnent derrière eux, comme sortant du cul d’un canard mécanique du sieur Vaucanson, que leurs excréments. Ils en lâchent même tellement qu’ils se font rattraper, très vite ils marchent dedans. Rousseau a écrit que les français n’aimaient pas manger, parce que sinon ils ne mettraient pas si longtemps à préparer des mets qu’ils avalent aussi vite. Il pourrait y avoir une autre hypothèse. Peut-être qu’un français c’est assez débile pour croire qu’un mille-feuilles de foie gras au pain d’épice avec des pommes caramélisé, accompagné d’un Sauternes cuivré, un Château d’Yquem aller, il ne peut en ressortir, au bout du bout, que de l’or ? Une question de point de vue, à tout le moins. L’image est audacieuse, mais c’est ce que je voudrais être pour ceux que j’aime : ce délice, cette douceur et même, soyons fou, ce raffinement. Plus doux que moi. Après le baccalauréat, j’ai été incapable d’obtenir le moindre diplôme, j’ai des goûts de chiotte alors je ne peux même pas faire ma pédale spécialiste en décoration d’intérieure, en faits je ne sais rien faire de mes dix doigts si ce n’est tenir un stylo et autres objets oblongs. Je lis un peu plus que la moyenne, ce n’est pas bien dur, j’écris tous les jours et ça c’est dur. Je constate ma propre vacuité, rien n’existe en deçà de notre rencontre. Attention, à force de lister mes insuffisances, dans les secondes qui viennent je vais être au fond du trou. Je suis seul, le monde est vide. Je sors ma lanterne. Je cherche un homme.