Je dessine sur les restes lacérés de La Littérature à l’estomac. De longues balafres, au stylo rouge, pour qu’elles aient l’air sanguinolent. Des croix, des courbes qui ont l’aspect juste dentelé des déchirures. Des motifs géométriques. Des plaies. Je pense, je trace une géographie. Je caresse du doigt la coupure inégale, tâtant de la chair en souffrance d’une page gorgée de rouge. Des lignes, des frontières où je patauge, je m’y tiens comme en équilibre. Ne pas tomber dans le trou, ne pas ripper sur le pus, ne pas tomber dedans le corps. Je sais bien que l’objet démantibulé, éparpillé, parcouru de signes noirs, était un livre. Cela me maintient dans un malaise, une frénésie interne, je m’affole et j’en jouis. En détruisant ce livre jaune, en le gribouillant, puis, tiens, si j’en balançais des morceaux à travers la chambre, on dirait une pluie de billets de banque, et si j’en mâchais une feuille, si je l’avalais ? Je me venge de toute cette clique fermée clic-clac à double tour et qui publie toute l’année toute cette merde (mais pas seulement) et qui ne s’aperçoit même pas de mon existence, je la conchie cette clique qu’un Julien Gracq honnissait tant, lui qui semble être devenu, par la grâce de ses adverbes, de son culot et peut-être de sa mort, une référence à l’égale des Proust, Flaubert... Et ce faisant, j’exprime la fleur de mon désir. J’écris.