jeudi 24 janvier 2008

Vitrine

Ensuite cette impression d'être observé ne me quitte pas. Mon appartement est sinistré, il n’a pas disparu dans les flammes et je pourrais l’habiter dans deux ou trois semaines. En attendant j’habite à l’hôtel. Contre toute attente, j’assure bien mon boulot et le chef s’est (comme qui dirait) amouraché de moi puisqu’il me promet un taf régulier, il s’était refusé à le faire jusqu’alors. Le genre de type qui s’est toujours vu plutôt à gauche - je travaille dans un journal de droite où tout le monde se dit à gauche, en faits cela n’a rien d’original - et donc il se veut solidaire du pigiste à la rue que je suis devenu. Tant mieux, j’ai besoin de fric, ça lui passera, tant mieux aussi. J’adore ma vie à l’hôtel, l’atmosphère provinciale, la patronne est diserte, le réceptionniste discret. On se croirait au bord de la Croix-Rousse, étranger de passage et pourtant : en plein cœur. Mis à part les tracas, les coups de fils à l’assurance, à la régie, aux entreprises de décontamination, tout va pour le mieux. Toutefois, quelque chose me chiffonne. Cette impression d’être observé, parfois. Je ne voudrais pas que l’on croit que je commence une petite paranoïa, non, j’ai conscience de ma sensibilité exacerbée, par la fatigue ou par l’ennui accumulé. Toujours est-il que dès que je suis sorti de chez moi, le jour de l’incendie, au milieu des voisins, des pompiers, et il y en avait des pas mal, heu, je veux dire ils étaient nombreux, entouré de badauds je tremblais un peu en bas de mon immeuble et je ne me suis jamais débarrassé de cette impression d’être le centre de quelque événement souterrain, la cible d’un regard. Je sais, rien de bien rationnel, un sentiment voilà tout. Je crois que nous sommes nombreux à vivre les gros chocs, tel un incendie ou, j’imagine, un tremblement de terre, de façon irréelle, et j’ai décidé de me concentrer sur ce que je vivais, d’arrêter de chercher à côté de moi le regard de celui qui serait en train de vivre l’événement à ma place, parce que c’était peut-être juste ça, mon impression, je me croyais le romancier du drame et, dans la foule, je cherchais un personnage susceptible de le vivre… Ou… Au contraire, n’était-ce pas plutôt le romancier, à l’origine de mon rôle, de mon histoire, que je cherchais des yeux ? Car cet épisode, je ne l’ai pas écrit. Dès que j’ai aperçu la fumée noirâtre s’immiscer dans ma chambre, mes décisions avaient toutes été préméditées. Du genre et si un jour il y avait le feu chez toi, qu'est-ce que tu ferais ? Et puis le jour ou ça flambe, et bien, ce que tu avais pensé, tu le fais. Du coup, j’ai eu la sensation d’avoir soudain perdu mon libre-arbitre. Combien de temps me reste-t-il ? Un peu, que je divise par deux. J’appelle les pompiers en enfilant mes Van's bleues électriques. J’arrache les fils de l’ordinateur et je fourre tout dans un sac. Mes papiers poche gauche, mes clefs poche droite. Je réponds à l’appel des pompiers qui se méfient peut-être du canular. Je claque la porte. Aux voisins qui balancent des seaux d’eau sur la porte du fou qui gueule sa race mais comme jamais, je dis ça ne sert à rien, descendez et je leur montre comment il faut faire. Je ne pense pas un instant que le schizophrène en réchappera, je ne pense pas le contraire non plus. Je ne peux même pas dire que je m'en fous. Un canular, je vis cela comme un canular, mes gestes sont automatiques et je joue le jeu. Oui, comme si quelqu’un avait écrit cette histoire pour moi. Mais la sensation d’être observé s’avive dès que je relâche mon contrôle, si je suis las. Dans la journée, au travail, je n’y pense pas. Ce n’est peut-être qu’une illusion. La solitude me joue un tour, elle me cisèle un compagnon imaginaire, un patron, une silhouette à l’œil sombre. Un Horla. De ne plus pouvoir habiter chez moi ne me traumatise pas, pourtant je me sens en insécurité, cela me rend méfiant. Je connais la solution à cette prise de tête. Je dois décider de ne pas me laisser aller à ma dépression chronique, elle me rattrapera bien assez tôt, j'ai besoin de travail, d'étreintes, de lectures, de théâtre, bref, il faut que je me bouge. Je sais qu’il me faut vivre, je dois écrire moi-même, mes propres aventures. N’empêche, à l’instant, je le jurerais, un passant m’a regardé à travers la vitrine, pendant que je tapais ce texte. Non mais sans rire. C’est après dîner, je déguste un café noir décaféiné, dans le petit salon de l'hôtel. L’ambiance y est distillée par des appliques aux reflets de cuivre et des boiseries sans patine habillent chaudement les murs. Le réceptionniste s’est absenté. A quelques mètres de moi, l’éclairage public blanchit le trottoir où les lyonnais passent, pour la plupart indifférents et, d’ailleurs... Je ne les trouve guère curieux. Après tout, si je suis en vitrine, n’est-ce pas un peu pour qu’on me voit ?

3 commentaires:

Anonyme a dit…

est on si seul devant les autres?

Anonyme a dit…

C'est une de mes hantises ça, de rentrer chez moi et de tout trouver brûler. Alors que y'a plus de risques à ce qu'il y est le feu chez moi... quand je suis chez moi. :)

Ouam-Chotte a dit…

@ j. : Ben ouais

@ walp : Je te crois sans peine