Il entre, c’est lui, sa jolie tête de gitan, en compagnie d’un gars de son âge. Je le mate, j’hésite à me faire un peu lourdingue en l’abordant, finalement je sirote, j’essaie de me faire une idée. Il s’installe à quelque mètre de moi, au bar. Le temps de frôler la main du patron, il se retourne.
« Ouam, c’est toi ? »
Et son sourire m’atteint.
J’annonce : « La mienne » avec un petit geste au barman. « Deux pintes ? »
Je suis pris d’abord par son espèce de facilité dans la conversation. Il improvise, il est badin mais, ce faisant, il se détourne de son pote. C’est ce qui me gêne le plus et m’empêche, assez vite, de m’intéresser à lui. Certes je suis dans sa ligne de mire, je suis là pour ça, pour qu’il me montre de l’envie, voire du désir. Mais tandis qu’il déblatère sur sa fascination pour les blogs, et pour le mien en particulier, je pense surtout à l’isolement de ce pauvre hère, je sais, c'est idiot, d'autant qu'il n’est pas aussi joli à regarder. J'essaie de me concentrer sur mon interlocuteur.
« Le blog c’est génial, les gens se racontent sans retenue, c’est bien supérieur au roman »
Je ne sais pas si le môme s’est rendu compte que Premier Jet est d’abord un roman, ou alors il s’en fout et il parle pour parler. Pour briller plutôt. J’ai d’ailleurs assez vite l’impression qu’il ne maîtrise pas son discours alors que je l’en crois tout à fait capable. Il n’est pas là pour papoter, à la limite, tant mieux, moi non plus. Il se veut à l’image d’un garçon que j’aurais envie d’enculer, il construit son personnage, bon, mais j’en ai un peu trop conscience et ce superbe garçon, avec sa grosse personnalité, digne de ce qu’il croit percevoir de moi, est en train de me couper l’envie. Je me demande s’il ne faudrait pas que je le voie tout nu, dans mon lit, les genoux sur les épaules et la prostate impatiente ?
« Le blog c’est comme la vie de tous les jours, une lutte des ego »
En effet le jeune blogger se gonfle d’un passé qui, plutôt que de m’impressionner, m’amuse, c'est-à-dire attire ma sympathie. J’apprends qu’il a été porte-parole d’un mouvement lycéen, ça me fout un haut-le-cœur, bien sûr il ne peut pas savoir, je suis en plein revival de mes 20 ans. Il me vient pour lui, pour ce garçon, une tendresse coupable, née, donc, d'un reste de nostalgie. Pour l’instant il travaille pour une municipalité à la périphérie de Lyon, la même qui récupérait les porte-parole déchus des coordinations lycéennes quinze ans auparavant. Il y a des jeunes gens qui se brûlent au contact des hautes sphères (du pouvoir), vivent en temps de grève des aventures, des effervescences qui, en comparaison, rendent impossible le retour à la médiocrité. Le garçon que j’ai en face de moi est à mon sens beaucoup plus prometteur que je l’étais, plus libre. Pas amoureux. Mais mon passé m’emmerde et il me le renvoie à la figure. A la deuxième ou troisième pinte, la boisson commence à le désaxer, des copains à lui s’amènent avec des filles, il est souriant et toutefois je sens que quelque chose lui déplait. Les jeunettes n’en ont que pour lui, pour sa belle gueule, son bagout et son sens de l’humour :
« Eeeh tes potes m’ont dit, c’est toi le bogosse qui voulait se faire un mec ce soir ? »
Evidemment la donzelle se retrouve un peu connasse lorsqu’elle voit converger les regards vers moi. Je me retiens de recracher ma bière sur toute cette triomphante jeunesse, je bredouille un genre d’excuse en pouffant, ce n’est pas possible, je sors du Lycée, bientôt une chieuse va me demander si j’ai compris les maths et moi je vais répondre euh montre t’en es où j’ai fait craquer les deux dernières semaines. Le môme est un peu outré, il méprise la question et la fille avec ostentation, change de sujet. Ça me surprend de sa part et je ne suis pas loin de me laisser aller à mon rire. Je l’accompagne dehors, il lui faut fumer son clope.
9 commentaires:
MDR la fille qui met le pied dans le plat, et dommage que le blogueur n'ait pas rebondi autrement, ce qui aurait pu être folklo est original. En tout cas tout cela en dit long sur sa personnalité. Je" comprends ton ressenti : j'ai déjà éprouvé ça moi aussi. Toute cette histoire me rend très curieux, de mon côté, il n'arrive rien du tout.
Dommage qu'il n'ait pas aiguisé son propos sur la différence blog / roman. C'est si facile d'affirmer une thèse et de ne pas la défendre...
Déjà, le blog fait en général partie du journal intime, sauf qu'il est potentiellement interactif et pas si intime. Ce n''est ni supérieur, ni inférieur au roman : c'est totalement différent, comme processus, et tout ce que ça sous entend. Enfin je vais pas développer ici, je vais pas squatter ta place.
Je pense qu'il n'a pas compris que ton blog est aussi roman car
il le considère plus comme un "blog" dans le sens journal intime et non dans le sens "technique", "informatique" que comme un roman car c'est une auto fiction, donc un peu entre les deux et que, d'autre part, ce pourquoi je voulais hier te poser cette question : entre beaucoup de messages, il n'y a pas vraiment de transition, de fils conducteurs : ce sont de très courts chapitres, et c assez éclaté (contrairement à la succession des derniers messages). Ce n'est pas une critique ; c'est juste que ça interroge sur la nature de ce que tu fais.
Vivement la suite, je suis vraiment impatient.
et la me vient cette fameuse question après une journée épuisante de cours:
et toi tu t'es inscris en sport?
Aller viens mon ouam on retourne à l'université faire les cons, monter des assos, distribuer des tracts, chanter sur les bancs, pomper en exams, aller au cani place de l'opera plutôt qu'a la fac, faire les lèches cul avec Tomasi (le coup du bouquin au premier rang)...
Eh t'es con c'était quand même bien avant, me dit pas que tu veux tout jeter...Me dis pas qu'on a tant rigolé pour rien.
Et cette nana un peu tarte qui met les pieds dans le plat, ça aurait très bien pu être moi...(si y'en a qui confirme, gare!)
Ouais t'as raison c'est nul le passé.
jane
@Jane : nous avons plein d'autres trucs à faire ensemble... Et c'est plutôt cet perspective qui me fait chaud au coeur.
@Querelle : Sur la position de mon interlocuteur à propos des blogs, bien sûr, je me suis permis de caricaturer l'idée de mon modèle, mais mon sentiment vis à vis de ce genre de jugement rapide en est, je crois, plus clairement traduit. D'ailleurs je suis sceptique sur la nature même de ce type de proposition (la préoccupation du mec qui hiérarchise entre le roman, l'essai, la poésie, le journal intime, le blog, et pourquoi pas faire une arborescence ou donner des notes ?)(encore une fois, je caricature : je sais qu'un mec pas dégueulasse pourrait se reconnaître ici et je veux le rassurer)
D'accord avec toi, donc, sur le fait que blog et roman sont juste deux genres (littéraires) différents.
Cela m'amène à répondre à ta deuxième remarque.
Oui j'ai constaté le morcellement de plus en plus évident de mon récit et je dois avouer que cela me chagrine. Je ne perds pas tout à fait la vision d'ensemble, mais enfin la forme du blog est en train de s'imposer alors même que j'éprouvais le sentiment d'arriver au coeur du roman.
Je me demande s'il ne faudrait pas que je prenne un peu de recul, (une pause ?) pour tenter de reprendre la main. On verra après les épisode prochains sur The pillow book...
Intéressant tes réponses. Mais de là à faire une pause, pas besoin : suffit d'être vigilant, ou de tourner ça autrement?. Aie confiance. Un blog est moins figé qu'un roman, que les deux s'interpénètrent, ce peut être une bonne chose. A toi d'en tirer parti :)
Sinon pour la pause, hein, moi je suis contre. Pense que tu prives un de tes lecteurs de sa nouvelle drogue. Donc : attention, je risque de te traquer jusqu'au fond de la Croix Rousse :)
Ce qui serait plus intéressant - à mon goût, bien entendu - serait de traiter du même type de rencontre mais avec un blogueur de 20 ans... plus âgé que toi ! Sortir du cliché, en quelque sorte.
Mauvaise foi d'un pur jaloux, évidemment.
:)
Shaggo : Mdr !!! En voilà une idée qu'elle est bonne. Si ça intéresse pas ouam, je veux bien m'en charger, de cette affaire, vu que je préfère nettement les mecs plus âgés que moi :)
un blog ça ne veut rien dire, à mon sens.
C'est juste une page internet blanche, clef en mains comme ils disent, et tu y écris bien ce que tu veux, que tu sois Proust, Loic Lemeur ou LacheTonCom'
Ce n'est ni une forme, ni un fond, ni un genre, c'est un moyen (je pense).
Dans le sens média ou objet.
@Shaggoo et Querelle : disons que je ne voudrais pas tomber sur un mec avec un casque noir et une cape qui me dirait : Je suis ton père...
@Lovedreamer : Je suis d'accord avec toi. Le bouquin aussi est une coquille vide, il y a tellement de bouses sans nom qui sont publiées sous forme de livre... Un média, ouaip !
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